LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°410

Le petit pas qui fera de nous des êtres humains

Il y a un peu plus de vingt ans, le 17 août 2002, la jeune Tabitha, âgé d’à peine 5 ans, arrive à l’aéroport de Zaventem, en compagnie de son oncle ; ils sont en transit vers le Canada.

Elle sera arrêtée et détenue pendant deux mois dans le tristement célèbre Centre 127, appelé centre de transit, mais c’est en réalité une prison pour migrants. Elle est ensuite renvoyée seule au Congo où les autorités belges perdront temporairement sa trace, parce que personne n’est là pour l’accueillir.

Cette affaire se terminera finalement relativement bien pour l’enfant ; après des épisodes rocambolesques, elle rejoindra sa maman au Canada et y obtiendra un droit de résidence.

Le 12 octobre 2006, dans un arrêt déshonorant, la Cour européenne des droits de l’homme condamnera la Belgique (1) à l’unanimité, pour traitement inhumain et dégradant, atteinte à la vie privée et familiale, détention illégale,…

Cette affaire aura servi d’électrochoc et aura permis une prise de conscience tant du grand public que du Gouvernement que notre État est capable de telles infâmies. À la suite de cette décision, les réformes attendues depuis longtemps, se sont accélérées : adoption le 24 décembre 2002, soit deux mois après l’expulsion de Tabitha, de la loi tutelle pour les mineurs non-accompagnés, mise en place du Service des tutelles auprès du ministère de la Justice, recrutement et formation des tuteurs ; adoption le 12 janvier 2007, trois mois après l’arrêt de la CEDH, de la loi accueil qui comprend un chapitre consacré aux personnes vulnérables et aux mineurs, création des centres d’observation et d’orientation; et d’autres avancées sur le plan de l’accès à la santé, à la scolarité, à un droit au séjour,…

Des générations d’enfants auront pu en bénéficier et doivent donc une fière chandelle à Tabitha, héroïne malgré elle.

Mais les détentions d’enfants pour raison de migration se sont poursuivies jusqu’en 2008 avant d’être rangées au musée des horreurs, preuve qu’un État peut très bien se passer de cet outil de torture. Las, elles ont repris entre 2018 et 2019 jusqu’à ce qu’un arrêt de suspension du Conseil d’État et un accord de gouvernement mettent un terme provisoire à cette pratique (2) ; provisoire, puisqu’un tel accord, non coulé dans une loi, ne prémunit pas contre un futur gouvernement qui déciderait d’y recourir à nouveau.

Il faut donc compter sur les juridictions internationales pour rappeler aux États les principes de base des droits humains : on n’enferme pas un enfant. Point.

Et à ce niveau, on est à deux doigts d’une interdiction de principe, comme le souligne Germain Haumont (3). À ce moment-là seulement, les États devront sérieusement chercher d’autres approches de la migration des familles et enfants. Pour qu’un jour on puisse regarder en arrière et se demander comment nous avons pu être aussi inhumains.

Benoit Van Keirsbilck


(1) Affaire Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique ; Requête no 13178/03
(2) Voyez un rappel de toute cette procédure par Florence Asina, « Quand le formalisme du Conseil d’État est l’alibi de l’enfermement des enfants migrants », JDJ N°410, p. 10.
(3) Voyez Germain Haumont, L’arrêt M.D. et A.D. c. France de la Cour européenne des droits de l’homme : seuil d’un principe interdisant l’enfermement des enfants migrants?, ce JDJ N°410 p. 4.