L'éditorial du JDJ n°427 par Alexandra Roelandt et Benoit Van Keirsbilck

La faillite d’une autorité immorale

C’est le travail de fourmi de l’Abbé Rik Devillé, qui a récolté pendant trente ans des lettres de victimes de violences sexuelles au sein de l’Église catholique, qui aura permis la réalisation, par Ibbe Daniëls et Ingrid Schildermans, du documentaire « Godvergeten » diffusé durant le mois de septembre par la VRT.

Sur quatre épisodes, ce documentaire donne la parole aux victimes, toujours traumatisées, pour certaines, plusieurs dizaines d’années après les faits. La trame est chaque fois la même : la victime, généralement en situation de grande faiblesse, se voit imposer le silence. Mais même si elle parvient à parler, personne ne la croit et l’institution étouffe l’affaire, parfois en déplaçant l’auteur des faits quand le scandale prend des proportions trop importantes.

Ceci, tout en faisant obstruction aux poursuites et en dissimulant les crimes commis. Au niveau mondial, les victimes se comptent par centaines de milliers.

C’est la même attitude qui a prévalu partout, et jusqu’aux plus hautes sphères de l’Église catholique qui prétendait il y a quelques années encore vouloir régler ce problème en interne en se refusant à collaborer avec la justice au niveau national, tout en affirmant ne pas être responsable d’actes commis dans les diocèses (position du Vatican lors de son passage au Comité des droits de l’enfant en 2014).

Si depuis lors, le Vatican a peu à peu évolué dans son discours et dans ses actes, en prônant plus de transparence, appelant à la collaboration avec la justice civile ou en mettant en place une commission d’experts en son sein, ces réactions sont tardives et minimalistes. Elles ne prennent pas l’ampleur du problème en compte et surtout ne proposent pas d’indemnisation pour les victimes.

En Belgique, la Commission d’enquête parlementaire de 2010 n’aura manifestement pas suffi pour libérer la parole des victimes. Les réactions scandalisées ou de honte des autorités ecclésiastiques, restent bien en-deçà de ce qu’on est en droit d’attendre : une collaboration totale avec la justice, la fin de l’impunité, le soutien financier aux victimes, la reconnaissance de leur qualité de victimes, pour leur permettre de se reconstruire, si tant est que ça soit possible.

Le monde politique, sans doute pour s’excuser de n’avoir pas assuré un suivi effectif de la première commission d’enquête - nombre des recommandations de l’époque étant restées sans suite - s’est senti obligé de réagir.

D’où la création à la va-vite d’une nouvelle Commission d’enquête parlementaire, qui ne dispose que de six mois pour conduire ses travaux, destinée à évaluer le suivi de la précédente, la prise en charge des victimes et le traitement de plaintes ainsi que le travail de la justice. Il conviendrait aussi de questionner les privilèges dont bénéficie encore cette institution défaillante dans notre société.

Il est impératif que l’aide et l’écoute des victimes soient proposées en dehors de l’institution coupable d’avoir couvert ces crimes. Les Centres de prévention de la violence sexuelle, qui se sont développés ces dernières années sont sans doute le lieu le plus adéquat pour apporter une réponse professionnelle.

Alexandra Roelandt et Benoit Van Keirsbilck


Le sommaire du numéro 427

ARTICLES

1

Éditorial : La faillite d’une autorité immorale, — Alexandra Roelandt et Benoit Van Keirsbilck

3

Accident mortel – La détention préventive pour un mineur âgé entre 16 et 18 ans — Elisabeth Delangh

12

L’éducation aux droits de l’enfant à l’école : quand les droits de l’enfant s’invitent en classe. Regard sur la situation en Fédération Wallonie-Bruxelles — Eden Glejser

22

Le sens du chez-soi des adolescents en hébergement égalitaire, à partir de l’expérience des enfants — Bérengère Nobels et Laura Merla

TRAVAUX PARLEMENTAIRES

32

Proposition de résolution visant à créer un point d’information et de contact pour le travail des enfants sur les plateformes en ligne (déposée par Mme Leen Dierick)

FICHE JDJ

35

Quelques aspects du droit pénal sexuel des mineurs à la lumière de la loi du 21 mars 2022 — Nathalie Goebels et Denis Lamalle

JURISPRUDENCE

38

CE (11e ch. réf.), 13 septembre 2023, n°257.300 — Loi Accueil - Aide matérielle - Demandes de protection internationale - Hommes seuls - Violation des articles 3 et 6, § 1er

39

Commentaire : Le Conseil d’État a tranché : le droit des demandeurs d’asile de vivre dans des conditions dignes ne souffre pas d’exceptions — Christine Flamand

41

C.C. - 30 mars 2023 - n° 56/2023 — Droit civil - Filiation paternelle - Enfant né d’une gestation pour autrui (GPA) à la suite d’une procréation médicalement assistée - Absence de projet parental entre la gestatrice et son mari - Action en contestation de la présomption de paternité du mari de la mère porteuse, introduite par le père biologique - Fin de non-recevoir de la demande

44

Commentaire : Gestation pour autrui et contestation de paternité — Catherine de Bouyalski et Céline Verbrouck

45

Cass. (3ème ch.), 5 juin 2023 — Pension alimentaire – Parents pour leur enfant – Maintien et application des paramètres fixés par la loi – Décision du juge – Loyauté dans la preuve – Premier paramètre – Moyens des parents – Avantages en nature – Évaluation concrète

45

Gand (11ème ch.), 8 septembre 2022 — Adoption – Conditions – Motifs légitimes – Motif unique de régularisation de séjour – Adoption fictive

45

Gand (11ème ch.), 12 janvier 2023 — Nom de famille – Modification de la fi liation paternelle – Enfant majeur – Choix du nom du «nouveau» père


ICI ET AILLEURS

La pauvreté…

La Chambre a adopté un projet de loi instaurant l’obligation pour les futurs gouvernements fédéraux d’adopter un plan fédéral de lutte contre la pauvreté qui comprend la définition de mesures à prendre par chaque ministre et secrétaire d’État dans leurs propres compétences.

Le plan doit faire l’objet d’une concertation avec les entités fédérées afin de rechercher les synergies d’actions, ainsi qu’avec le réseau de fonctionnaires de lutte contre la pauvreté et la Plateforme belge de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale.

Il doit aussi résulter de consultations des partenaires experts en matière de lutte contre la pauvreté et prendre en compte l’impact de chaque mesure en matière de genre et de handicap.

Il doit enfin, faire l’objet d’un monitoring et une évaluation constante tout au long de la législature.

… prise à bras le corps

Les associations luttant contre la pauvreté se réjouissent de l’adoption de cette législation qui leur permettra d’être associées et de garantir la participation des personnes vivant dans la pauvreté … pourvu bien sûr que les recommandations soient suivies d’effet.

Au fédéral, ça bloque toujours…

L’ONG Défense des enfants international Belgique a mis l’État belge en demeure d’adopter une loi interdisant explicitement les violences dites éducatives ordinaires (VDEO), c’està- dire toutes ces fessées qui se perdent, ces châtiments physiques, psychologiques et verbaux au sein de familles.

Deux projets de loi sont bloqués en Commission justice de la Chambre parce qu’un seul parti, le MR, et plus particulièrement son Président, bloque.

Lassé d’attendre, DEI a décidé de passer à la vitesse supérieure en demandant aux tribunaux d’enjoindre l’État d’adopter une loi.

… alors que la FWB avance.

Dans le même temps, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté un décret qui interdit toute forme de violences physiques, psychiques et verbales envers des enfants accueillis dans des structures autorisées, agréées, subventionnées ou organisées par la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Cette interdiction devra figurer dans les conditions d’autorisation, d’agrément ou de subventions des services ou institutions. Il s’agit maintenant de faire connaître ce décret et de soutenir les professionnels dans leur application.

Élections européennes…

La loi du 1er juin 2022 avait introduit la possibilité pour les jeunes de 16 et 17 ans de voter à l’élection des membres du Parlement européen.

Pour pouvoir voter, ces jeunes devaient demander à être inscrits sur la liste des électeurs. Un Belge majeur, qui ne voulait manifestement pas ouvrir ce droit à des jeunes de moins de 18 ans, a déposé un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle en invoquant que les mineurs n’ont pas la maturité politique requise, de sorte que l’élargissement du droit de vote aboutit, sans justification raisonnable, à une inégalité de traitement par rapport aux autres électeurs.

… et droit de vote des enfants…

Mal lui en prit, puisque la Cour a estimé que le législateur pouvait, au regard de l’objectif de renouveau démocratique et dans les limites de son pouvoir d’appréciation, élargir le droit de vote pour ces élections aux jeunes de 16 et 17 ans qui, comme les majeurs, sont capables de se forger une opinion politique et de voter pour le parti ou le candidat qui représente le mieux leur opinion.

Mais, selon la Cour, il n’est pas raisonnablement justifié de subordonner l’exercice de ce droit de vote pour ces jeunes à l’obligation de demander à être inscrit sur la liste des électeurs. La Cour annule donc la loi du 1er juin 2022 dans la mesure où elle prévoit une telle obligation.

… à partir de 16 ans

Restait à voir ce que le législateur allait décider à la suite de cet arrêt : rendre le vote obligatoire pour les 16/17 ans ou pas. La Ministre de l’Intérieur a tranché (et déposé un projet de loi en ce sens) : le vote des moins de 18 ans ne sera pas obligatoire. Même si cette option semble de bon sens (le non-respect de l’obligation de vote entraîne des sanctions qu’il semble logique de ne pas appliquer à des mineurs), gageons que d’aucuns y trouveront encore à redire et saisiront derechef la Cour constitutionnelle pour un nouveau tour de carrousel.

Pour notre part, nous trouvons incohérent d’avoir commencé à abaisser l’âge du vote avec les élections européennes au lieu des élections communales, régionales ou fédérales.

Un mineur serait-il capable de faire un choix pour un Parlementaire européen, mais pas pour un conseiller communal ?


Les bésicles de Jiji

Zéros (dé)bridés

Léna, le supplément international du Soir (1-2 avril), reprend un article de Die Welt au sujet des crédits chinois accordés à des pays africains, et dont le total atteindrait « jusqu’à un billion de dollars (0, 92 billion d’euros) ». Spécialement lorsqu’on parle de monnaie des États-Unis, la précision s’impose car le même mot, orthographié de la même façon, signifie dans les pays anglophones (sauf le Canada) 1 milliard, et dans le reste du monde, 1000 milliards.

Mirage arabique

Toujours aussi fiable sur les informations juridiques, la même gazette (18 avril) « explique » la plainte pénale qu’ont déposée quatre associations contre la FN : « Les licences d’exportation [d’armes vers l’Arabie saoudite] avaient été annulées par le Conseil d’État puis retirées directement par le ministre-président wallon afin de leur éviter de connaître le même sort ». Maintenant vous ne les voyez plus, maintenant vous les voyez à nouveau ; vous vous rappelez Tintin dans Au pays de l’or noir ?

Ça tombe dru
  • Le Soir (6 avril) cite Élisabeth Borne au sujet de sa rencontre avec les syndicats : « Un échange respectueux où chacun a pu s’écouter et s’exprimer ». Donc, échec total.

  • Itou (15-16 avril), un billettiste : « Macron tente-t-il de se glisser dans le costume du général de Gaulle ? ». Bof, c’est l’inverse qu’on aurait voulu voir…

  • Aussi (14 avril), selon une dépêche Belga, P.-Y. Dermagne (PS), ministre fédéral de l’Économie « veut instaurer une obligation de pouvoir payer en cash ». Être forcé à une faculté ? Socialisme autoritaire !

  • Encore (26 avril), une autre, de l’AFP, signale qu’en Thaïlande, un parti politique propose de légaliser la vente des jouets sexuels importés, ce qui permettrait de les taxer. Fallait-il vraiment titrer « Les sex toys comme carotte électorale » ?

  • De plus (11 mai), Ph. Close, bourgmestre (PS) de Bruxelles sur les manifestations agitées : « On parvient à trouver un terrain d’entente, pour pas que cela se termine mal ». S’il l’a vraiment dit, il ne devait pas, et la journaleuse n’avait pas à reproduire bêtement.

  • Quant à lesoirimmo (20 avril), il présente, à Loverval, une villa qui « possède deux chambres et une salle de bains à l’étage, un séjour avec feu ouvert ou un double garage ». Pourquoi faut-il choisir ?

  • Même supplément (4 mai), à Écaussinnes, un appartement neuf dont le prix « inclut une cave située au sous-sol » ; architecture audacieuse.

  • Ibidem, M. Michel Minor (MR), secrétaire d’État chargé de la Régie des Bâtiments : « Je poursuivrai le travail pour que le palais de justice [de Bruxelles] soit libéré complètement de ses échafaudages d’ici 2030 ». Pas la peine d’aller voter en 2024, ni en 2029.

  • Et dans l’édition en ligne, Soir Mag (12 avril) : à la basilique cathédrale de Saint-Denis (France), « Certains (sarcophages) dateraient de l’époque mérovingienne. D’autres sépultures seraient même plus vieilles et remonteraient au Moyen-Âge » (merci à Alain-Charles Van Gysel).

  • P. Smet(one.brussels-Vooruit) sur bx1 (29 mars) : « Le métro, ce n’est pas un projet pour seulement 10 ans, mais pour l’éternité. Donc, c’est normal que le fédéral intervienne ». Qu’attendre d’autre d’un « secrétaire d’État bruxellois » ? (merci à Laurent Fastrez).

  • Au Journal des tribunaux (8 avril), un commentaire de la réforme du notariat : « Un statut de notaire flambant neuf ». Enfin, on rallume le feu de la profession.

  • Quant au Moniteur du 18 avril, le SPF Justice y fait savoir : « Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique – Acceptation démission président – Nomination nouveau président ». On craint le pire pour l’ancienne langue française.

  • Dans celui du 28 avril, un arrêté ministériel wallon du 6 avril 2023 modifie celui du 1er mars 1994 « classant, comme monument, le moulin à eau de Saint-Denis et sa machinerie avec le petit bâtiment avec aile en retour de 1711 ». Ce site (à Mons) revient de loin.

  • Celui du 12 mai publie, daté du 13 avril 2023, un « arrêté du gouvernement wallon n°3  mettant fin à l’obligation du port du masque ». Menteurs : depuis 1982, c’est le 18ème.

  • Dans celui du 15 mai (1ère éd.), le traduiseur a encore fait comme il a pouvu avec le décret flamand du 21 avril 2023 « portant orientation de personnes temporairement déplacées en provenance d’Ukraine vers des formations (professionnelles) et vers le marché du travail ».

  • Et le 26 mai(2ème éd.), un arrêté royal du 18 avril 2023 intitulé « portant révocation (…) d’un commissaire du gouvernement auprès de la SNCB » dispose que « Démission honorable de son mandat est accordée à Monsieur [X] ». Sorti par la fenêtre ou par la grande porte ?

  • LaLibre en ligne (19 mai) résume le scénario d’Indiana Jones et le Cadran de la destinée : au prologue en 1945, « [les Profs. Jones et Shaw] tentent de dérober la Sainte Lance, qui aurait servi à recueillir le sang du Christ ». Doux Jésus !

  • Au Flash de 21 h. de la RTBF La première (27 mai) : « Les pilotes de montgolfières vont devoir souffler dans le ballon ». Quand ils se trouvent à court de propane.