LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°408

Nouvelle étape d’un sempiternel bras de fer ?

Le JDJ de septembre 2021 (n° 407) publiait un article d’Amaury de Terwangne et Thierry Moreau sous un titre pour le moins alarmant : «Urgent ! Les droits des jeunes en péril à la suite des modifications récentes dans le régime des IPPJ introduites par l’administration».

Il faisait suite à la mise en oeuvre par l’Administration générale de l’Aide à la jeunesse (AGAJ), le 1er août dernier, d’une grande réforme de l’organisation des IPPJ, et en particulier de la transformation d’une unité de Saint-Hubert en unité «SEVOR 30 jours non renouvelables»; il s’agit d’une unité de diagnostic, à régime ouvert ou fermé, qui doit permettre d’éclairer les magistrats, au bout de 30 jours, sur la meilleure orientation possible pour chaque jeune.

Cette unité est devenue la porte d’entrée des IPPJ en remplacement des unités d’accueil, d’orientation et d’évaluation.

Depuis lors, les réactions ont fusé : l’Ordre des avocats francophones et germanophones (Avocats.be), d’une part, l’Union des magistrats de la jeunesse de l’autre.

Les principaux reproches ont été exposés dans l’article précité : mise en oeuvre d’une réforme avant que l’arrêté d’application ne soit en vigueur, mélange de jeunes placés en milieu ouvert et fermé, puisque les jeunes placés dans un régime ou l’autre sont physiquement dans un même lieu qui a toutes les caractéristiques d’un lieu fermé, voire d’une prison.

Les magistrats sont particulièrement démontés, pointant en particulier que la ligne rouge de l’illégalité a été franchie, évoquant même l’accusation de détention arbitraire et d’entrave aux décisions judiciaires dans le chef de l’AGAJ et de non-respect de la séparation des pouvoirs.

L’AGAJ adopterait une position toujours plus dogmatique, serait sourde aux positionnements des juges qui se sentent instrumentalisés et en ont assez de servir d’alibi. Ils refusent de cautionner les prises de positions qualifiées d’illégales de l’administration, comme l’exposent plusieurs décisions judiciaires récentes (voir rubrique jurisprudence).

Ces réactions auront fait réagir la ministre Glatigny. Dans un premier temps, elle garde le cap en répondant à une question parlementaire (1), mais par la suite elle aurait déclaré : «Nous allons une nouvelle fois rencontrer les magistrats et des représentants d’Avocats.be. La réforme n’entrera pas en vigueur avant que nous ayons exploré toutes les possibilités permettant de garantir qu’aucun jeune qui devrait être confié à une IPPJ à régime ouvert ne se retrouve en milieu fermé».

Rétropédalage bien nécessaire, même si certains magistrats sont d’avis de boycotter ces rencontres.

Mais n’est-ce pas le énième épisode du bras de fer régulier entre le monde judiciaire et l’administration, sur les répartitions des compétences et l’orientation des politiques ?

Les juges ont certes raison quand ils s’insurgent sur la limitation de leurs prérogatives, surtout quand elle s’exprime de manière aussi maladroite et illégale. Mais le gouvernement a, d’une part, un budget à gérer, d’autre part, entend bien impulser des politiques, ce qui passe par fixer un cadre au pouvoir des juges qui peuvent avoir tendance à abuser de la case IPPJ et qui trouveront par définition qu’on ne met pas suffisamment de solutions à leur disposition.

On n’en est plus à l’époque où les juges plaçaient des jeunes à l’AGAJ, voire au domicile de la ministre compétente, pour forcer la création d’encore et encore plus de places fermées. Ce type de procédé avait débouché sur la création de la prison pour mineurs d’Everberg, censée n’être que temporaire et d’une capacité limitée; on a vu ce qu’il en a été, le Centre fermé de Saint- Hubert étant l’héritier de cette politique.

Pour la FWB, il ne peut être question de continuer à créer des lieux d’enfermement à n’en plus finir, vu ce qu’ils engloutissent comme budget et l’atteinte importante à la liberté qu’ils imposent. Ceci d’autant plus que nombre de mesures mises à disposition des juges sont sous-utilisées, comme la médiation, la concertation restauratrice en groupe, le travail d’intérêt général ou encore le projet du jeune. D’où l’importance de continuer à chercher des solutions concertées.

En attendant, les enfants sont pris au milieu de ce conflit qui les dépasse; ils sont incontestablement les premières victimes de ce bras de fer, jusqu’à parfois être enfermés alors qu’aucune instance compétente ne l’a décidé. Et ça, c’est intolérable !

Benoit Van Keirsbilck


(1) CRIc N°14-Ens Sup3 (session 2021-2022), 12 octobre 2021, pp. 90-96 : http://archive.pfwb.be/1000000020ce0fb