LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Florence Bourton et Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°377

Migration, détention… élections ?

«Nous en savons trop et nous avons un message à faire passer.

Il y a urgence. Des enfants innocents sont enfermés dans des prisons. Et même si ces prisons sont dorées, elles restent des prisons.

Il y a urgence. Selon des études scientifiques, les enfants détenus dans les centres fermés courent dix fois plus de risques d’avoir des troubles psychopathologiques. Comment une petite fille peut en arriver à trouver «normal» de menotter sa poupée ? » (1)

Ces mots, nous les avons publiés il y a dix ans. Ces mots, ce sont ceux des douze jeunes francophones et néerlandophones qui étaient juges du Tribunal d’opinion sur la détention des enfants étrangers en centres fermés. C’était en 2008, ils avaient entre 12 et 18 ans.

Dix ans plus tard, le gouvernement belge serait-il frappé d’amnésie ? Aurait-il oublié les trois condamnations de la Cour européenne des droits de l’Homme pour «traitements inhumains et dégradants», prononcées à l’égard de la Belgique lorsqu’elle enfermait des enfants étrangers ? (2)

Déco soignée, télévision à écran plat dernier cri, cuisine, salle de bain, machine à laver et… toboggan. Tout est mis en place pour faire croire qu’on se soucie réellement de l’intérêt de l’enfant et susciter des commentaires tels que « quel luxe !» et « la plupart des personnes autour de moi sont moins bien logées ».

Les bâches représentant des champs, installées sur les grilles délimitant les unités familiales, poussent le cynisme à son comble. Faut-il rappeler que les enfants doivent porter des casques anti-bruit à l’extérieur, tant le va-et-vient tout proche des avions est assourdissant ?

Soigné, le timing l’était aussi pour « l’arrivée » de la première famille dans cette prison déguisée – car non, ce n’est pas un logement ! La famille a été enfermée à la mi-août, pendant les vacances d’été, une période creuse particulièrement propice à la mise en œuvre de décisions controversées. Elle a été soigneusement choisie : la mère vient de Serbie, un pays qui n’est pas en guerre et vers lequel le renvoi fera moins polémique, contrairement à la Syrie, par exemple.

La famille a été arrêtée à Anvers, le fief de la N-VA. A quelques mois des élections communales, le message politique envoyé à la Flandre est assez clair. On brosse les partisans des idées populistes dans le sens du poil en espérant faire grimper le score aux prochaines élections.

La famille n’ayant pu être expulsée dans le délai prévu est sortie du centre fermé le 10 septembre, preuve de l’échec de cette politique. Elle a été transférée en « maison retour », une autre forme de détention…

A quoi rime cet acharnement, si ce n’est à s’obstiner à maltraiter quatre enfants en bas âge, tous nés en Belgique et n’ayant jamais connu cette Serbie vers laquelle on voudrait les envoyer. Un pays où la communauté rom, dont est issue la famille, subit toujours de graves persécutions.

Faire preuve d’une telle débauche de moyens pour envoyer un message politique est simplement abject; tout comme le traitement inhumain réservé à ces familles aspirant à une vie meilleure dans un pays qui se dit respectueux des droits fondamentaux.

Florence Bourton et Benoit Van Keirsbilck


(1) Extrait de l’Edito du n°271 du Journal du droit des Jeunes de janvier 2008. La dernière phrase fait référence à une photo publiée à l’époque par UNICEF Belgique d’une poupée à laquelle une petite fille détenue en centre fermé avait ligoté les mains.
(2) CEDH, Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, 12 octobre 2006 ; CEDH, Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, 19 janvier 2010 ; CEDH, Kanagaratnam et autres c. Belgique, 13 décembre 2011.