LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Florence Bourton et Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°376

Premier pas vers un retour à l’aide juridique ?

«Les avocats pro deo ne peuvent plus demander de forfait» titrent les quotidiens, à la fin du mois de juin. En effet, le 21 juin, la Cour constitutionnelle annulait partiellement la loi du 6 juillet 2016 modifiant le Code judiciaire en ce qui concerne l’aide juridique. Il s’agit d’une vraie victoire pour les associations de défense des droits fondamentaux qui avaient introduit le recours (1) !

Toutefois, il reste du chemin à parcourir avant que la justice soit réellement accessible à tous et toutes.

Partant de l’hypothèse non démontrée d’une «surconsommation de l’aide juridique», la réforme de 2016 avait introduit le système du «ticket modérateur». Pour être représentée en justice par un avocat, toute personne bénéficiant de l’aide juridique de deuxième ligne devait s’acquitter de la somme de 50 euros.

Une contribution tout à fait «modeste», «symbolique», «modique» pour quelqu’un qui n’a que peu de «moyens d’existence» et ne sait comment finir ses fins de mois, n’est-ce pas ? C’était en tous cas l’avis de notre législateur. Dites-moi, 50 euros, ça fait combien de pains de 800 grammes ?

Il faut dire que le raisonnement était tordu : accorder une aide aux personnes qui n’ont pas les moyens de prendre en charge les frais de leur défense et demander, à ces mêmes personnes, de contribuer au financement de cette aide… La Cour constitutionnelle n’y trouve pas de logique non plus. Elle conclut que ce fameux ticket modérateur «constitue un recul significatif dans la protection du droit à l’aide juridique garanti par l’article 23 de la Constitution, qui n’est pas justifié par un motif d’intérêt général (…)» (2).

La contribution de 50 euros est donc supprimée, c’est une excellente nouvelle ! Mais le chemin vers l’aide juridique reste semé d’embûches. La charge administrative (production de nombre d’attestations et preuves de l’indigence (3) qui portent souvent atteinte à la vie privée) pour obtenir la désignation d’un avocat est telle que beaucoup de justiciables renoncent à faire valoir leurs droits. En septembre 2017, un an à peine après la réforme, la plate-forme «Justice pour tous» déplorait une baisse de 30% dans l’introduction des dossiers dits pro deo.

Impartiale et indépendante, la Justice est un des piliers de la démocratie. Pour tout individu, elle est la clé d’accès à tous les autres droits fondamentaux. Elle n’est pas «un coût» à rationnaliser, comme le considère ce Gouvernement (le budget alloué à la Justice représente à peine 0,7% du budget de l’Etat (4), contre 2,2% en moyenne dans les autres États européens). Par contre, le non-accès aux droits a un coût financier et humain considérable. La Cour constitutionnelle ne s’y est pas trompée. La direction est tracée, il faut persévérer.

Florence Bourton et Benoit Van Keirsbilck


(1) Une trentaine d’associations qui font pour la plupart partie de la Plate-forme Justice pour tous ainsi que trois CPAS.
(2) C. const., 21 juin 2018, n°77/2018, § B.17.3.
(3) Il est parfois demandé à une personne de fournir un extrait de rôle alors qu’elle ne l’a pas encore reçu ou n’est pas censée en recevoir un, une composition de ménage alors qu’elle a été radiée des registres de la commune, etc.
(4) Il s’agit des chiffres de 2015, alors qu’on sait que le gouvernement Michel avait annoncé en 2014 une baisse de 20% des dépenses liées à la Justice sur 4 ans…