LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Florence Bourton et Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°375

Décès de la petite Mawda, la Belgique est tombée bien bas…

Le 22 septembre 1998, Semira Adamu est étouffée à l’aide d’un coussin, lors d’une énième tentative d’expulsion. La colère de l’opinion publique avait été telle que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Louis Tobback, avait démissionné. Près de vingt ans plus tard, on rappelle l’histoire de Semira Adamu aux rassemblements de protestation contre la mort tragique de la petite Mawda, le 17 mai 2018.

Cependant, en 2018, pas de démission à l’horizon… Le gouvernement n’a pas formulé l’ombre d’une excuse envers la famille, il se contente de répondre de façon péremptoire qu’il s’en remet aux résultats d’une enquête voulue «parfaitement indépendante» et qu’il faut surtout «attendre» avant de réagir. Le vocabulaire est édulcoré : on parle de balle perdue, d’un «tir dans la joue»; dire que la fillette a été abattue d’une balle dans la tête leur a sans doute semblé trop choquant ?

Que dire des propos du parquet de Mons-Tournai qui avait annoncé «ne pas exclure» que le tir mortel ait été tiré par la police, sous-entendant que quelqu’un d’autre aurait pu tirer sur Mawda. Qui donc ?

La palme d’or revient tout de même à Bart de Wever, Président de la N-VA, qui s’est permis de «souligner la responsabilité des parents»; car, dit-il, «ne parler de ces gens qu’en termes de victimes, ce n’est pas correct». Des propos tout simplement ignobles.

Ignoble, le terme n’est sans doute pas assez fort pour désigner la façon dont cette famille a été traitée par les autorités belges. Y a-t-il chose plus horrible que d’être privé du droit d’accompagner sa fille mourante à l’hôpital ? Que de rester dans l’angoisse pendant 24 heures sans connaître son état de santé ? De rester 24 heures en cellule avec son fils de 4 ans, les vêtements tachés de sang, après avoir enduré les pires épreuves ?

De recevoir, avec l’annonce de la mort de son enfant, un ordre de quitter le territoire en guise de mouchoir ?

N’a-t-on pas franchi ici le seuil des traitements inhumains et dégradants, voire même de la torture, qui marque la limite entre l’être humain et la bête sauvage ? Cet interdit qui dérange tant Monsieur Francken, au point qu’il fait tout pour le contourner.

Il y a peu, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la Turquie pour violation du droit au respect de la vie privée et familiale d’une famille du fait de la confiscation du corps de ses enfants, tués par des militaires, en les privant du choix du lieu où ils seraient enterrés (1). Plus récemment encore, elle condamnait la France pour atteinte au droit à la vie : l’usage d’une arme à feu par un gendarme pour arrêter une camionnette en fuite à la suite d’un cambriolage a été jugé disproportionné (2). Que dirait la Cour dans le cas présent ?

En cette fin d’année scolaire, des jeunes migrants de l’âge de Mawda seront bientôt enfermés dans les unités familiales fermées du centre 127bis. À quelques centaines de kilomètres de là, à Genève, la Belgique défend sa politique devant le Comité des droits de l’enfant des Nations unies qui a pourtant fermement condamné des telles pratiques.

Le décès de Mawda est un drame humain favorisé par la criminalisation des étrangers.

Que pouvons-nous faire face à cette déshumanisation et ce mépris, si ce n’est de continuer inlassablement à dénoncer les politiques inhumaines, discriminatoires et criminalisantes et puis surtout, défendre partout et tout le temps les droits fondamentaux de tous ?

Florence Bourton et Benoit Van Keirsbilck


(1) Gülbahar Özer et Yusuf Özer c. Turquie, 29 mai 2018.
(2) Toubache c. France, 7 juin 2018.