LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°374

L’obsolescence organisée de la main-d’oeuvre

À intervalles réguliers, la question de l’abaissement de l’obligation scolaire de 18 à 16 ans revient sur le tapis. Cette fois-ci, l’auteur de cette proposition, ministre de l’Emploi de la Région wallonne, la justifie en assurant qu’elle permettrait d’arriver au plein emploi, grâce à la formation en dehors du cadre scolaire, dans les entreprises.

Outre que ces formules existent déjà depuis des dizaines d’années (citons notamment le contrat d’apprentissage des classes moyennes, le contrat d’apprentissage industriel, les formations en alternance), il est pour le moins paradoxal de viser le plein emploi en diminuant le niveau de qualification des jeunes.

La tension est permanente entre les tenants d’une formation de base la plus étendue pour un maximum de jeunes et ceux qui cherchent à les former pour qu’ils soient directement employables, formatés aux besoins des entreprises.

Les entreprises seraient-elle plus performantes pour assurer la qualification de la jeunesse que toutes les écoles et centres de formation existants ? Nous qui pensions que le niveau de qualification était généralement la meilleure garantie pour diminuer le risque de chômage et favorisait le développement économique d’une région !

Certes, une entreprise offre des formations extrêmement pointues qui correspondent précisément à leurs besoins … du moment. Mais elles jettent le gant dès qu’il s’agit de reconvertir ces travailleurs spécialisés à d’autres métiers quand l’évolution du marché de l’emploi aura rendu leurs connaissances obsolètes.

Faute de bagage théorique, de capacité d’adaptation et de compétence d’apprentissage tout au long de la vie (pourtant prônés par l’Europe), nombre de travailleurs sont perçus comme inemployables et mis au rebut (tout en étant culpabilisés d’être à charge de la société). La merveilleuse logique capitaliste de l’obsolescence programmée… de la main-d’oeuvre.

Bien entendu, un certain nombre de jeunes ne se retrouvent pas dans le type de formations proposées par le monde de l’enseignement ; ceux dont les écoles ne veulent plus sont toujours trop nombreux (exclusions, refus d’inscription, réorientations forcées, notamment vers l’enseignement spécialisé). Mais en abaissant l’âge de l’obligation scolaire, on ne va faire qu’accentuer le phénomène.

En effet, les écoles se débarrasseront d’autant plus facilement des jeunes « un peu plus difficiles à cadrer », puisqu’ils ne seront de toute façon plus soumis à l’obligation scolaire, que des entreprises seront prêtes à les accueillir (et recevront certainement des aides publiques pour ce faire) et que cela justifie donc amplement qu’on les prive de leur droit à l’instruction.

C’est évidemment beaucoup plus facile que de réformer l’école, de la rendre plus attrayante, de lutter contre le décrochage scolaire et les exclusions.

À terme, cela donne des cohortes de jeunes sans diplôme (la formation par l’entreprise donnera au mieux droit à un certificat valable… dans l’entreprise même) et surtout moins armés pour se défendre, réfléchir à l’organisation sociale, agir en tant que citoyen responsable, actif, critique et solidaire (selon la formule consacrée, chère à l’éducation permanente).

Mais peut-être est-ce cela qu’on cherche in fine ? Avec un projet de régionalisation larvée en bonus et une guéguerre stérile qui stigmatise les autres niveaux de pouvoir (qui, par hasard, sont composés par une majorité différente). De la politique politicienne sans vision collective, globale et à long terme. Très peu pour nous !

Benoit Van Keirsbilck