LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°343

Pilotage à l’aveugle

Depuis des années, les Gouvernements, tant fédéral que communautaires, se comportent comme des pilotes manœuvrant un 747 dans d’épais nuages, sans disposer du moindre instrument de bord : on ne sait ni à quelle hauteur on vole, ni la direction du vent ou les risques d’orages qui se profilent. Seule l’intuition du pilote, qui change régulièrement, est de nature à déterminer le cap, la vitesse de croisière, les changements d’orientation et même la destination. Les pilotes ne connaissent pas plus la nature de leur cargaison, le nombre de passagers qu’ils transportent, leur éventuelle dangerosité ou vulnérabilité. La compagnie d’aviation afrétant ce vol n’est pas renseignée sur les besoins spécifiques des passagers, qui peuvent influencer le service à bord.

A-t-on affaire à des jeunes en danger, nécessitant une aide spécialisée à la suite de l’échec de l’aide générale ou des jeunes ayant commis (ou juste soupçonnés) un «fait qualifié infraction» ?

Les services collaborant à l’aide et la protection de la jeunesse remplissent-ils bien leur mission ? Les moyens utilisés sont-ils adéquats pour répondre aux besoins de ces jeunes et familles ? Les méthodes éducatives, notamment en IPPJ, permettent-elles de viser la réinsertion et réintégration de jeunes dans la société en leur donnant de réelles chances d’y trouver leur place ? De combien de places fermées a-t-on besoin en Communauté française (question que le Conseil communautaire est en train de débattre, en faisant des approximations qui ne se basent sur rien de sérieux) ? Comment promouvoir les mesures non privatives de liberté, et singulièrement la médiation et le travail d’intérêt général qui ne semblent plus en odeur de sainteté auprès de magistrats qui ne jurent que par des prises en charge institutionnelles ?

Chaque rapport, chaque étude(1), chaque groupe de travail qui s’est penché sur la matière arrive au même constat : le manque de données fiables, l’absence d’analyses quantitatives aussi bien que qualitatives, la quasi-absence de recherches indépendantes.

L’Observatoire de l’enfance, de la jeunesse et de l’aide à la jeunesse, qui pourrait (devrait ?) jouer ce rôle en Fédération Wallonie-Bruxelles n’a manifestement pas la capacité et les moyens techniques et humains de le faire. L’INCC (Institut National de Criminalistique et Criminologie), qui réalise régulièrement des études dans le domaine de la protection de la jeunesse, ne peut le faire que s’il dispose de personnel et de moyens et, bien plus, du mandat (s’agissant d’un Institut fédéral, il ne peut agir au niveau communautaire que moyennant une autorisation explicite).

La recherche universitaire est indigente, une fois encore parce qu’il n’y a pas de volonté politique de la doter des moyens de faire un travail approfondi, de qualité et sur le long terme.

Disons-le tout net, il n’est pas possible de mener une politique sérieuse en matière d’aide et de protection de la jeunesse sans instruments de bord fiables, informant le pilote pour qu’il puisse prendre les décisions qui s’imposent. Mais il faut craindre que la situation perdure, tant les priorités sont ailleurs. Le pifomètre a encore de beaux jours devant lui.