LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°331

«Travail formidable, moyens fort minables»(1) ?

Manque de moyens, non-remplacement d’agents absents de longue durée (même quand l’absence est prévisible bien à l’avance, comme les congés de maternité ou la pension), manque de considération, surcharge de travail, burn-out, tensions entre le secteur de l’aide à la jeunesse et le monde judiciaire, manque de places dans les institutions privées et… la goutte qui a fait déborder le vase, une perquisition vécue comme violente. Il n’y a pas à dire, l’aide à la jeunesse en Communauté française est bien mal en point et le fait savoir… dans une certaine indifférence(2), mis à part quelques interpellations au Parlement de la Communauté française(3), face à une Ministre en fi n de parcours, bien molle sur ce coup.

Le 6 décembre, les SAJ/SPJ manifestaient devant le Cabinet de Mme Huytebroeck pour demander une augmentation des moyens ; ils ont obtenu… un calendrier de rencontres pour analyser le problème. Début janvier, c’est une perquisition au SAJ de Charleroi qui remettait le feu aux poudres, provoquant un débrayage en front commun de tous les SAJ et SPJ (par la suite, la CSC a levé son mot d’ordre de grève que seule la CGSP poursuit).

Il ne s’agit manifestement pas d’un épiphénomène passager, mais d’une crise amplifiée par un nombre important de réformes dont on ne sait pas encore ce qu’elles vont provoquer : modification des arrondissements judiciaires, entrée en vigueur du tribunal de la famille, nouveau transfert de compétences (et d’une partie des budgets ?) du Fédéral vers les Communautés, création de capacités réservées dans les institutions aux différents «mandataires» (conseillers, directeurs, juges), volonté du monde judiciaire de «récupérer les 38»(4) sans passer par la case conseiller,…

La Ministre a beau jeu de rappeler qu’elle a considérablement augmenté les moyens pour ces services depuis le début de la législature (56 ETP); l’aide à la jeunesse, tout comme l’aide aux sans-abri, est un tonneau des Danaïdes : on peut le remplir sans fin. Si on n’y met pas un fond, le travail est inutile ou à tout le moins sans fin.

Les délégués auraient plus de 60 dossiers à traiter (certains annoncent les chiffres de 85 à 90 !), là où une recommandation du Conseil communautaire de l’aide à la jeunesse préconise une limite à 34. À ce rythme, il n’y a pas de doute, un travail de qualité est quasi impossible. Ceci d’autant plus que la pression de la justice est ressentie comme extrêmement injuste et crée l’envie de se protéger et donc de ne plus prendre aucun risque, pourtant indispensable à toute approche socioéducative.

En même temps, on ne peut pas indéfiniment augmenter les moyens de ces services sans se poser des questions sur les priorités, le rôle des services privés, les raisons de l’augmentation des situations d’enfants en difficulté ou en danger… Le délitement de la sécurité sociale et d’autres mécanismes de protection sociale est bien sûr passé par là. Mais on doit aussi sérieusement interroger la répartition des moyens pour prendre en charge les jeunes ayant commis un fait qualifié infraction. Tant qu’on accordera une telle importance budgétaire à l’enfermement, une petite minorité de jeunes (qui ont commis des délits), continuera à absorber la plus grande partie des moyens de l’aide à la jeunesse.

Ceux qui, notamment dans le monde politique, réclament sans cesse plus d’enfermement ont une responsabilité certaine dans ce qui se passe.

Il n’en reste pas moins qu’une grève d’une telle ampleur laisse sur le carreau des jeunes et des familles en attente d’une aide et on est en droit de se demander si les moyens utilisés étaient nécessaires pour faire entendre ces revendications. Rien n’est moins sûr.


(1) Slogan écrit sur certains panneaux lors des manifestations des SAJ/SPJ
(2) Au point que «Le Soir» du 28 janvier titre : «SAJ, SPJ : la grève dont on ne parle pas»
(3) Questions de M. Antoine Tanzilli (CdH) et de M. Jean-Claude Maene à Mme Évelyne Huytebroeck, ministre de la Jeunesse, intitulées «Débrayage des services d’aide à la jeunesse et de protection judiciaire» et «Grève des SAJ» ; CRIc No 48-Jeun.8 (2013-2014)
(4) Les situations d’enfants dont l’intégrité physique et psychique est gravement et actuellement en danger.