LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°243

Quel gâchis !

La langue française compte une nouvelle expression : la «jacquemottisation» d'une école.

Il suffit que la fièvre d'un bahut augmente de quelques degrés pour qu'on invoque le «syndrome jaquemotte».

Mais que recouvre ce terme ? Pour d'aucuns, il s'agit vraisemblablement de décrire la situation d'une école «déglinguée» faite de violence, absentéisme, laisser aller, … Les élèves y sont ingérables, les fait répréhensibles se multiplient, les menaces de grève des enseignants tombent.

Et si cette expression visait d'abord et avant tout un énorme gâchis ? L'incurie des instances chargées de gérer l'enseignement de la Communauté française qui ont permis, et même favorisé le développement d'une école qui ne pouvait que devenir ingérable ? L'incapacité de gérer correctement une période de crise ? Ou encore le nettoyage par le vide, sans recul et à l'aveugle ? À moins qu'elle ne signifie l'utilisation des élèves comme boucs émissaires d'une crise institutionnelle ?

On a déjà dit, mais n'ayons pas peur de le répéter, quand la violence et l'absentéisme se développent de cette manière dans un établissement, c'est le système qui génère cette violence qui doit être questionné.

Sur les centaines d'élèves exclus (on n'a jamais su le nombre exact mais des classes entières sont devenues désertiques ; plus d'un tiers de l'école aurait été priée d'aller voir ailleurs), un certain nombre s'est accroché.

Dès l'arrivée de la nouvelle direction en octobre, un grand nombre d'élèves, en grande majorité majeurs, ont fait l'objet d'une procédure d'exclusion pour absentéisme (plus de vingt demi jours d'absence injustifiés qui peuvent déboucher sur une décision d'exclusion définitive à partir de dix-huit ans). Ils ont immédiatement fait l'objet d'un écartement provisoire (normalement réservé aux cas graves) pendant la procédure. Sans surprise, la décision d'exclusion a été prononcée (pourtant le nouveau préfet s'était plaint de la situation administrative catastrophique qu'il avait découverte à son arrivée ; n'y avait-il que les absences qui avaient été correctement répertoriées ?).

Un certain nombre d'élèves ont introduit un recours auprès de la Ministre de l'éducation qui a bien dû admettre que la décision ne tenait pas la route. Elle a donc suggéré au chef d'établissement ff de retirer les décisions d'exclusion. Aussitôt fait, une nouvelle procédure a été entamée avec un nouvel écartement provisoire qui a fort logiquement débouché sur une nouvelle exclusion définitive. Re-belotte : recours pour ceux qui ont encore été en mesure de s'accrocher. Deux mois après, la Ministre décide que les recours sont recevables et fondés en raison de la motivation des élèves !

Une quinzaine de rescapés peut reprendre le chemin de l'école à la mi-mars ! Eux à qui on reprochait de l'absentéisme, ont été tenus à l'écart de l'école pendant cinq mois. À l'échelle d'une année scolaire, c'est pas mal ! Et la Ministre, qui n'a pas respecté les délais qui lui sont imposés pour statuer, a le culot de préciser dans son courrier que la décision ne préjuge en rien de la réussite scolaire !

C'est d'autant plus vrai que rien ne semble organisé pour permettre à ces élèves de rattraper leur retard. Pourtant, la réintégration signifie que les deux procédures d'exclusion n'auraient pas dû être. L'école et le Pouvoir Organisateur sont en faute ; il leur revient de mettre tout en oeuvre, y compris des moyens exceptionnels, pour permettre à ces élèves de sauver leur année.

Leurs compagnons sont en stage mais pour eux, c'est trop juste. Ils resteront à l'école pour se mettre à jour. Mais certains profs sont rappelés alors qu'ils avaient sans doute quartier libre pendant le stage. C'est évidemment avec des pieds de plomb qu'ils ont réintégré leur école pour donner cours aux «petits merdeux» qui ne le méritent pas. Gageons qu'on les aura sérieusement à l'oeil et qu'avec un tel état d'esprit, tous ne termineront sans doute pas l'année dans cette école. On ne passe rien à ceux qui avaient raison face à l'autorité. La capacité de se remettre en question, de reconnaître ses fautes et de les assumer doit être acquise pour ceux qui sont en principe encore en phase d'apprentissage, mais n'est plus de mise une fois passé du bon côté du bâton.

Ceux qu'une véritable politique d'égalité des chances devait soutenir avec des moyens et une énergie décuplée auront été le prix à payer pour «pacifier» l'école. Quel gâchis !