Le passage à l’an 2025 a été marqué par des ordonnances des bourgmestres d’Anderlecht et d’Anvers, instaurant des couvre-feux qui ont ciblé directement les enfants et les adolescents.
Ces mesures, présentées comme des outils de prévention des troubles, interrogent sur leur légalité et leur impact sur les droits des jeunes. Retour sur ces décisions et leurs implications.
À Anderlecht, le bourgmestre a décidé d’interdire aux moins de 16 ans non accompagnés par un tuteur légal de circuler dans certaines parties des espaces publics de la commune (essentiellement de Cureghem) entre 22 heures et 6 heures.
L’objectif affiché : répondre aux problèmes d’incivilités et d’ordre public, supposés être causés par des mineurs.
Cette mesure, pourtant générale dans sa formulation, visait implicitement les jeunes des quartiers les plus défavorisés.
Anvers a opté pour un dispositif différent : la mesure s’appliquait à certains jeunes (une cinquantaine), nommément visés, de moins de 18 ans soupçonnés d’être liés à des rixes ou des affrontements entre bandes.
Elle visait à interdire à ces jeunes de sortir de chez eux pendant la nuit du réveillon, interdiction susceptible d’être contrôlée par la police. Une première version de l’arrêté étant sur le point d’être censurée par le Conseil d’État, la commune s’est empressée de retirer son texte pour… le réintroduire sous une forme quelque peu amendée.
Ces mesures se concentraient sur une frange particulière de la jeunesse, amplifiant un sentiment de stigmatisation. Si à Anderlecht, il s’agit d’une ingérence importante dans la vie privée, à Anvers, on va beaucoup plus loin : l’assignation à résidence s’apparente à une privation de liberté… dans son propre domicile.
Des mesures hautement attentatoires aux droits fondamentaux.
Saisi en urgence par des associations et citoyens touchés par ces décisions, le Conseil d’État n’a, in fine, pas suspendu les mesures controversées ni pour Anderlecht ni pour Anvers. Selon l’auditorat, si ces arrêtés présentaient effectivement des failles juridiques importantes, notamment leur disproportion par rapport à l’objectif de sécurité publique ou l’incompétence du bourgmestre, il n’était pas établi que les mesures critiquées causeraient un préjudice grave et difficilement réparable, condition indispensable pour agir en extrême urgence.
Ceci même si l’urgence a été artificiellement créée par la prise d’arrêtés quelques jours avant la Saint-Sylvestre !
Ainsi donc, les bourgmestres prennent des décisions vraisemblablement illégales pour prévenir des faits potentiellement illégaux et répréhensibles des jeunes. Ces derniers sont sanctionnés alors que les premiers s’en sortent bien.
Deux poids, deux mesures.
Même s’il mériterait qu’on s’y arrête longuement, laissons ici de côté le caractère répressif de ces mesures à l’utilité plus que douteuse (la preuve en est le nombre d’incidents qui se sont produits malgré les décisions administratives) qui ne devraient pas devenir habituelles ou systématiques et attardons-nous à l’attitude du Conseil d’État.
Manifestement, comme trop souvent, les magistrats de la rue de la Science ont tendance à botter en touche et à éviter au maximum de se prononcer sur le fond ; il y a en effet fort à parier qu’une fois que les décisions maïorales cessent de produire leurs effets, c’est-à-dire le 1er janvier, l’honorable juridiction administrative considère que la demande est devenue sans objet et rejette les recours.
En tout état de cause, un tel recours ne peut être considéré comme utile dans la mesure où il ne permet pas de faire cesser une mesure illégale, adoptée en dernière minute pour justement éviter la censure (alors que les communes avaient toute une année pour adopter un règlement de police).
Cette situation a un nom : il s’agit ni plus ni moins d’un déni de justice qui ne peut que conforter les communes à continuer à agir de la sorte, cette stratégie étant payante.
Sans doute à court terme, mais beaucoup moins pour l’État de droit et le message envoyé à la jeunesse !
Benoit Van Keirsbilck