La saga du vote des 16-17 ans aux élections européennes est un beau cas d’école pour les penseurs des droits de l’enfant.
Jusqu’où les enfants sont-ils les mêmes que les adultes et à partir de quand faut-il les traiter différemment ?
On a l’habitude de dire que les enfants ont les mêmes droits que les adultes, mais qu’ils ne peuvent pas nécessairement les exercer eux-mêmes. Cette assertion souffre de quelques exceptions.
Passons sur la manière de légiférer qui fait la part belle à l’amateurisme (l’annulation partielle à deux reprises d’une même loi, par la Cour constitutionnelle, est, de mémoire, particulièrement rare), non dénué de calculs politiciens (la question «pour qui voteront les 16-17 ans ?» a taraudé plus d’un parlementaire lors des débats sur cette législation).
Plusieurs questions relatives aux choix opérés par les parlementaires subsistent, dont le choix d’avoir commencé par les élections européennes, niveau de pouvoir complexe et le plus éloigné de la population, et de ne pas avoir privilégié les élections communales, réputées plus proche du quotidien de chacun.
Ensuite, la tergiversation : les enfants ont le droit de vote, mais pas l’obligation, sauf s’ils s’inscrivent volontairement sur les listes électorales, auquel cas, ils se sont obligés eux-mêmes à voter.
Formule passablement tordue, torpillée par un zigoto (qui a saisi la Cour constitutionnelle) qui ne voulait pas entendre parler du droit de vote de gamins forcément influençables. Il en aura eu pour son grade, puisqu’au lieu de l’annulation du droit de vote, il a obtenu l’annulation de l’obligation de s’inscrire sur les listes électorales, démarche qui créait une discrimination entre les citoyens en fonction de leur âge (1).
Généralisant ainsi le vote à tous les 16-17 ans.
Le législateur, tenu de revoir sa copie, décida que les jeunes seront convoqués comme les adultes, mais n’auront pas l’obligation d’aller voter. Solution qui semblait revêtue d’un certain bon sens, mais qui n’a derechef pas plu aux sages de la Cour constitutionnelle (2).
Retour à l’expéditeur (le Parlement) pour une nouvelle mouture, la troisième, de ce cadeau de plus en plus empoisonné, puisqu’il finit par décider de mettre tous ceux qui ont le droit de vote sur le même pied, c’est-à-dire les obliger.
Fin de la saga ? Que nenni ! Les adultes qui n’accomplissent pas scrupuleusement leur devoir de citoyens bien conscientisés peuvent être mis à l’amende. Soit. Mais les mineurs ? On a suffisamment critiqué le principe de l’amende dans le contexte des sanctions administratives communales (les fameuses SAC) pour ne pas souhaiter le voir s’appliquer dans le cas d’espèce. Avec in fine, l’annonce du ministre de la Justice et du Collège des procureurs généraux, exonérant de poursuites les mineurs qui n'iront pas voter.
Les amateurs de casuistiques regretteront qu’un procureur ne trouve pas judicieux de citer un jeune à comparaître devant le Tribunal de police pour voir comment celui-ci chercherait à se dépêtrer de la question suivante : les mineurs ont les mêmes droits que les adultes, droits qui peuvent se transformer en obligations assorties de sanctions. Mais face à la justice, le principe de la justice spécialisée pour les enfants et des sanctions adaptées et à visée éducative, qui devrait prévaloir, doit-il s’appliquer en pareille espèce ?
En attendant, regrettons que le monde politique s’adresse trop peu aux néo-votants, à qui on n’a pas réellement donné envie d’aller voter.
Benoit Van Keirsbilck
(1) C.C., 20 juillet 2023, n°116/2023.
(2) C.C., 21 mars 2024, n°35/2024; voir l’analyse publiée sur le site : www.questions-justice.be.