LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Alexandra Roelandt dans le JDJ N°404

Des enfants meurent et nous détournons le regard

Ma fille aura bientôt un an et je crois pouvoir affirmer qu’elle ne manque de rien.

Sans doute est-elle née au bon endroit, au bon moment.

Naïvement, peut-être, j’imagine que personne ne demeure impassible face aux photographies d’enfants déambulant dans les allées sordides des camps d’Al-Hol ou Roj, à la lecture de leurs conditions de vie.

La situation humanitaire est catastrophique, les enfants meurent de malnutrition, de mauvais traitements. L’inaction de leur propre pays autorise la perpétuation de ces crimes.

Comment justifier leur abandon par les autorités nationales ou les trop rares rapatriements ? Un enfant « mériterait »-il davantage d’être sauvé qu’un autre ?

Aujourd’hui, on laisse mourir des enfants par peur de l’opinion publique. Au nom d’un soi-disant intérêt sécuritaire très mal compris, les autorités ne respectent ni leurs engagements politiques, ni internationaux. Elles ferment les yeux sur des conditions de vie indignes dont personne ne voudrait pour ses propres enfants.

D’autant que, faut-il le rappeler, les enfants n’ont pas décidé d’aller vivre en Syrie, ou d’y naître.

Les solutions proposées ne tiennent pas la route : faire juger leurs ressortissants sur place ?
Comment imaginer qu’une administration autoproclamée, qui n’est pas un État souverain, puisse rendre la justice ?
Les déférer devant les autorités irakiennes ? Risible, quand on sait à quel point les procès y tenus sont inéquitables.

Les procédures judiciaires engagées au niveau national dans différents pays d’Europe en vue de les contraindre à rapatrier leurs ressortissants n’ont pas donné de résultats tangibles comme on le lira dans le N°404 du JDJ.
Entre les débats sur la compétence territoriale des États, le droit à l’assistance consulaire, les discriminations en fonction de l’âge des enfants, le maintien ou non de l’unité familiale et la faisabilité concrète des rapatriements, tout indique qu’on cherche à noyer le poisson.

Certes, la situation n’est pas simple et le contexte particulièrement sensible.
Mais il y a des certitudes : les droits des enfants dans ces camps, y compris à la vie, à la survie et au développement, sont très gravement compromis; la communauté internationale a l’obligation, à tout le moins morale, si pas juridique et même sécuritaire, d’agir et d’agir vite. Des enfants ont été rapatriés, preuve que c’est possible.

Plus le temps passe, plus la situation empire; la sécurité non seulement de la région, mais du monde, risque de (re)dégénérer de manière incontrôlable.

Et si on prend l’angle qui est le nôtre, le respect des droits fondamentaux, il faut une intervention concertée de tous les États concernés (il y en aurait une cinquantaine) pour rapatrier tous les enfants et leur famille et leur garantir une réintégration avec tous les soutiens nécessaires. Même si certaines personnes doivent rendre des comptes en justice.

Pendant que durent ces débats, des milliers d’enfants risquent leur vie ou l’ont déjà perdue. La responsabilité de l’État est clairement engagée.

Il reste à espérer que la pression internationale changera la donne. Le Comité des droits de l’enfant, celui contre la torture, la Cour européenne des droits de l’homme et, plus récemment, la Cour pénale internationale, ont été saisis. Espérons qu’ils rappelleront fermement aux États leurs engagements internationaux. Pour tous ces enfants laissés pour compte.

Alexandra Roelandt