LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Caroline De Man et Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°363

On joue avec le feu

Le Secret professionnel est avant tout établi pour permettre l’exercice de certaines professions considérées d’utilité publique. Qui irait consulter un médecin, un psychiatre, un avocat ou un travailleur social s’il n’avait pas la garantie que les informations qu’il communique de manière confidentielles ne se retrouveront pas sur la place publique ?

L’interdiction de révéler ces secrets reste la règle; la possibilité de parler sans encourir des sanctions et l’obligation de révéler ces confidences font partie des exceptions à interpréter de manière extrêmement stricte. Cette relation de confiance est «une nécessité, autant dans le cadre d’une demande d’aide volontaire que dans celui de l’aide mandatée, que celle-ci soit consentie ou contrainte (1)».

Pourtant, aujourd’hui, ces garanties sont sérieusement mises à mal par une proposition et un projet de lois, sur une matière qui ne semble pourtant plus exclusivement de la compétence du Fédéral.

D’une part, la proposition N–VA «modifiant le Code d’instruction criminelle en vue de promouvoir la lutte contre le terrorisme», déjà adoptée en commission, vise les institutions de sécurité sociale (elle n’est donc pas applicable au secteur de l’aide à la jeunesse) et crée une obligation de communiquer des renseignements administratifs si le procureur du Roi (qui n’est pas un juge et ne fait donc pas partie des exceptions prévues à l’art. 458 du Code pénal) le demande et de dénoncer spontanément auprès de lui toute information pouvant constituer «des indices sérieux d’une infraction terroriste». Ces institutions utiliseraient le secret professionnel pour soutenir «les terroristes et leurs sympathisants (2) » !

Le second dispositif intéresse également les services collaborant à l’aide à la jeunesse, tout comme, de façon plus générale, le secteur de l’aide aux justiciables et aux victimes. Le projet de loi du ministre de la Justice dit «Pot-pourri V» contient, à la demande de la Flandre, un chapitre intitulé «Modification du Code pénal en vue d’instaurer le partage du secret professionnel dans le cadre de la concertation de cas».

Or il y est bien plus question d’une levée du secret professionnel que de son partage, car «la police ou le parquet pourront utiliser ces informations en dehors du contexte de la relation d’aide (3)». Tous les acteurs concernés ne poursuivent pourtant pas les mêmes missions, condition sine qua non du partage du secret professionnel.

Ces projets fragilisent donc encore l’action de divers professionnels, transformés en informateurs d’un pouvoir préférant le contrôle social (très illusoire) à une action de prévention et d’aide. Si certains travailleurs sont sans doute capables de résister à ce type de pressions, d’autres, plus vulnérables, seront contraints de révéler des informations reçues sous le sceau de la confidence. À titre d’exemple, de quelle marge de manœuvre disposera un travailleur d’un service communal de prévention si son pouvoir organisateur lui demande des informations relatives à des jeunes dont il assume l’accompagnement ?

La lutte contre l’insécurité, le radicalisme violent, le terrorisme permettent manifestement toutes les atteintes à l’État de droit. Ce faisant, on sape le fonctionnement d’institutions démocratiques. On ne pourra que s’en mordre les doigts.

Caroline De Man et Benoit Van Keirsbilck


(1) http://www.yapaka.be/page/maltraitance-des-enfants-le-secret-professionnel-outil-de-travail-des-intervenants-psycho
(2) Florence BOURTON, «Le secret professionnel : une valeur menacée ?», Avis du Service droit des jeunes de Bruxelles, mars 2017, www. sdj.be/IMG/pdf/avis_secret_professionnel_sdj.pdf
(3) Position de l’Administration générale de l’aide à la jeunesse relative à la modification du Code pénal en matière de secret professionnel – Projet de loi portant simplification, harmonisation, informatisation et modernisation de dispositions de droit civil et de procédure civile ainsi que du notariat, et portant diverses mesures en matière de justice, Note aux membres de la Commission Justice de la Chambre en vue de l’audition du 14 février 2017, p. 5, www.yapaka.be/sites/yapaka.be/files/page/note_commission_justice_agaj.pdf