LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Caroline De Man et Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°355

Quand la Cour s’en mêle

En mars 2016, la Cour de comptes remettait au Parlement de la Communauté française un rapport visant la gestion de l’hébergement des jeunes (à l’exclusion des IPPJ). Pour rappel, cette Cour exerce, outre un contrôle financier, un contrôle de légalité, de régularité et du bon emploi des fonds de l’État fédéral, des communautés, des régions, des organismes publics qui en dépendent, ainsi que des provinces et transmet régulièrement des rapports aux parlements.

Ce dernier audit est franchement critique sur la façon dont l’Administration générale de l’aide à la jeunesse fait usage des deniers publics en matière d’hébergement et de financement des services agréés. Nous retiendrons ici quelques éléments (loin d’être neufs) qui suffisent à illustrer les défis auxquels le Ministre Madrane est amené à faire face.

Premièrement, l’offre de placement est à ce point insuffisante que des internats et des hôpitaux se voient requis pour assurer l’exécution d’une mesure d’hébergement.

Des jeunes sont envoyés dans des lieux inadaptés, incapables de répondre à leurs besoins. Cet engorgement n’est pas objectivé et l’Administration ignore jusqu’au nombre de jeunes en attente d’une prise en charge, autant que ceux-ci ignorent le délai d’attente pour bénéficier de l’aide adéquate.

Ensuite, tout en reconnaissant que depuis près de deux ans, l’attribution des places est plus sereine, la Cour s’interroge sur l’égalité de traitement entre les jeunes.

En effet, même s’il est irréaliste d’imaginer que cette exigence puisse être atteinte par une centralisation du système, il lui semble nécessaire que l’aide à la jeunesse offre «une assurance raisonnable d’une sélection comparative entre tous les jeunes demandeurs d’un même service mandant » (1)

La question de l’offre est également au cœur de l’audit vu l’absence d’évaluation de son adéquation aux besoins eff ectifs des jeunes concernés. La Cour attire l’attention sur l’utilité d’un suivi systématique de l’activité des services agrées.

Une recommandation vise plus spécifiquement l’absence de recensement (quantification, objectivation et analyse) des dispositifs mis en œuvre et des besoins qu’ils sont censés rencontrer ainsi que le manque de contrôle et d’évaluation de la motivation des décisions de refus de prise en charge opposés par les services agrées aux autorités mandantes. A cela s’ajouter une délimitation floue des missions de l’aide à la jeunesse qui, dès lors, selon la Cour, occupe «une position d’acteur de premier plan lorsque les autres intervenants sont défaillants » (2).

Bref, la Cour a tout compris et met le doigt sur vingt ans de dysfonctionnements !

La mission des SAJ (résiduaire, supplétive) n’est pas bien comprise ni respectée ; les services privés font à peu près ce qu’ils veulent, ce qui crée des engorgements à d’autres niveaux (hôpitaux, internats mais on peut aussi ajouter les IPPJ) ; l’attribution des places ne repose pas sur une analyse objective des besoins du jeune.

La réforme de l’Aide à la jeunesse ne semble pas de nature à répondre à ces critiques, pas plus qu’elle ne repose sur une évaluation des conséquences budgétaires des futures politiques. C’est pourtant un chantier au moins aussi important et sans doute plus risqué encore : délimiter correctement la mission des uns et des autres, réagir adéquatement quand certains se défaussent de leurs obligations (fussent-ils services privés dont on rappellera qu’ils font partie d’un dispositif public d’aide à l’enfance et à la jeunesse fonctionnant avec les deniers publics) et, on aurait presque peur de le rappeler tant ça paraît iconoclaste, recenser les situations et les décisions, ainsi que planifier l’offre de service en fonction des besoins des jeunes qui devrait être, si pas l’unique préoccupation, la principale donnée de l’équation.

La plupart des Ministres de l’aide à la jeunesse se sont cassés les dents sur cette question (ou ont l’ignorée). Le Ministre actuel fera-t-il mieux ?