LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Caroline De Man dans le JDJ N°354

Des bénéficiaires tenus à distance

Plusieurs avis (1) commentant l’avant-projet du Ministre Madrane (2) pointent la faiblesse de la structure du texte et la difficulté conséquente d’appréhender son contenu de manière cohérente. Cela concerne plus spécifiquement les dispositions relatives aux droits des jeunes qui, pour plus de lisibilité, mériteraient d’être rassemblées dans un livre au lieu d’être éparpillées dans le texte.

Ces avis sont formulés par des professionnels rompus à l’exercice de déchiffrage des textes législatifs. Admettons un instant que les principaux destinataires y aient accès…

Il y a fort à parier qu’ils s’y perdraient sans pouvoir être en mesure d’émettre une opinion sur des questions aussi techniques. Ce qui conforterait l’idée qu’il n’est pas pertinent de solliciter leurs points de vue et qu’il est donc inutile de se lancer dans une telle démarche. Ne plane-t-il pas un présupposé que les principaux bénéficiaires, n’ont pas d’avis sur la structure, la complexité, la cohérence ou le fond du texte qui les concerne ?

Comprendre les règles est bien un préalable au droit à une participation effective. La CODE (3) rapporte que ces dernières années, les pratiques de l’aide à la jeunesse ont marqué quelques avancées vers un plus grand respect des droits de ses utilisateurs notamment en matière de protection, d’information et de participation. Toutefois, des familles, des associations de soutien aux familles précarisées et certains professionnels du secteur soulignent que « quand la parole leur est donnée, des familles disent encore ne pas se sentir entendues. (…) Elles regrettent aussi que leur point de vue ne soit pas toujours intégré dans le dossier de leur enfant. (…) Des familles rapportent ne pas comprendre les décisions prises par les autorités, ce qui les met dans une situation de désarroi important » (4).

Il nous semble qu’à ces pratiques de terrain au contact de la population, il serait également utile d’ajouter une analyse des pratiques du « terrain ministériel ». En quoi ce dernier peut-il être révélateur de la place accordée aux jeunes et aux familles destinataires des politiques publiques, ceci au regard des différentes phases d’élaboration d’un texte, des modalités de concertation, des étapes de rédaction et enfin de la forme sous laquelle ce texte sera in fine proposé à tous les citoyens ?

Ne pas se donner les moyens de recueillir tant l’expérience que l’avis des bénéficiaires, équivaut à se priver d’une occasion d’évaluer un tant soit peu les dispositifs existants sur la base de leurs effets dans le quotidien du public concerné. Cette approche est de nature à alimenter l’inquiétude et le scepticisme des bénéficiaires, deux entraves majeures au déroulement des missions des services de l’aide et de la protection de la jeunesse au contact de la population.


(1) Entre autres du Ministère Public, des avocats francophones, du CCAj. Consultables aussi dans un tableau comparatif via http://droitdelajeunesse.be/actualit%C3%A9s/madrane%20ccaj.html
(2) Avant-projet de réforme portant le Code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse. (3) «Les écrits de l’aide à la jeunesse sont-ils respectueux des droits des enfants et des familles ?», CODE, aout 2015, p. 3. (Consultable en ligne :http://www.lacode.be)
(4) Ibidem.