LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°348

De l’indécence du «Porn aid» à l’hypocrisie de la politique européenne

On caressait le secret espoir que la «crise des réfugiés», puisque c’est en ces termes qu’on la qualifie, alors qu’elle est avant tout une crise sans précédent de la gouvernance mondiale, amènerait les dirigeants européens à revoir leurs fondamentaux en matière d’accueil, de migration et à changer catégoriquement de paradigme (passer de l’étranger danger, à l’étranger chance pour l’avenir), les faits sont en train de nous donner tort.

Dans la population, à la suite des multiples déclarations politiques souvent contraires aux valeurs prônées par les partis, c’est encore et toujours la peur de l’autre qui prime (en témoignent, ces réactions complètement irrationnelles des voisins de futurs centres d’accueil persuadés que leur jogging dominical en sera irrémédiablement compromis), la méconnaissance des réalités vécues par les personnes qui fuient leur pays, les clichés et autres idées reçues, bref, une attitude de rejet largement répandue (1).

Et, comme le rappelle si justement le Child Right International Network (www.crin.org), en faisant références aux images de cet enfant ramassé mort sur les plages grecques (2), le «porn aid», c’est-à-dire le recours à des images choc pour éveiller les consciences, crée un choc émotionnel qui n’invite pas à une compréhension de la situation complexe, ni même à une réflexion de fond sur les causes du phénomène ou à une mobilisation constructive.

Or tout indique que la politique actuelle, au niveau européen et international, mais aussi, dans une large mesure, au niveau national, est intenable. Elle n’apporte aucune solution aux causes structurelles qui poussent tant de gens à quitter leur pays (causes bien souvent provoquées par des pays prompts à refuser cet accueil) et continuent à engraisser les passeurs et autres personnes qui profitent allègrement de la situation pour s’enrichir de manière éhontée sur le dos des migrants aux abois (quand on sait qu’il faut plusieurs milliers d’euros pour passer de Syrie en Europe en prenant des risques considérables, et qu’il y a plus de 700.000 personnes qui ont tenté leur chance, on peut imaginer le pactole engrangé par les réseaux, dont une majorité n’a aucun égard altruiste).

Les enfants, comme de tous temps, payent le prix fort de ces transhumances humaines. C’est ce que viennent de rappeler 59 grandes organisations actives dans les domaines des droits humains, des droits des enfants, de la santé et de l’inclusion sociale, notamment UNICEF, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’Homme, Défense des enfants international et le Réseau européen des médiateurs pour enfants, dans une lettre ouverte conjointe au Conseil européen: «Temps d’agir pour garantir les droits des enfants dans la politique migratoire de l’UE» (3).

Cette lettre demande également à l’UE et à ses États membres de mettre en oeuvre 10 points d’action couvrant le droit d’être entendu, le principe de l’intérêt supérieur, l’unité de la famille, les besoins humanitaires et d’accueil, l’accès aux services essentiels et à la justice, la protection contre la violence, la recherche et le sauvetage, des moyens sûrs pour atteindre l’Europe, la non détention et des retours conformes aux droits de l’enfant et des accords de réadmission.

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on en est loin.


(1) Soulignons à cet égard la campagne «10 préjugés sur les migrants» d’Amnesty International Belgique : www.amnesty.be/decouvrir-nos-campagnes/migrants-et-refugies/campagne-s-o-s-europe/
(2) Voir : www.crin.org/en/home/campaigns/child-rights-and-refugee-crisis/stop-aid-porn (nous aurons l’occasion d’y revenir)
(3) Voyez : http://picum.org/en/news/picum-news/48681/