LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°346

Un démenti qui se fait attendre

Le Comité des droits sociaux vient de rappeler la Belgique à l’ordre : notre législation ne protège pas suffisamment les enfants en ce qu’elle n’interdit pas explicitement les châtiments corporels dans tous les milieux, et en particulier dans la famille.

Les autorités belges sont au courant, depuis le 20 janvier 2015, de cette «décision sur le bien-fondé» qui constate une violation de la Charte sociale européenne. Elle n’a été rendue publique que le 29 mai 2015 pour permettre à l’État de préparer une réponse et proposer de se mettre en conformité avec cette décision.

On ne peut donc pas dire que cette condamnation vient comme une surprise, d’autant que c’est déjà la deuxième fois qu’une telle remontrance est adressée à l’État belge. La décision du comité a été prise à l’unanimité des treize membres qui siégeaient en la cause.

Or l’annonce de la décision n’a débouché sur aucune déclaration publique, même la presse l’a très largement ignorée. C’est évidemment significatif de l’importance qu’on accorde, d’une part, à la protection de l’enfance, d’autre part, aux organes chargés de mettre en oeuvre les conventions et traités ratifiés par la Belgique.

Parce que c’est un des points fondamentaux : en ratifiant la Charte sociale européenne, la Belgique s’est engagée à en respecter le contenu, dont la protection des enfants, mais également à assurer un suivi aux décisions de l’instance chargée de son contrôle, également compétente pour l’interpréter.

La seule réaction, un tant soit peu officielle (juste sur une publication leur site web), provient de la Campagne YAPAKA qui, en substance, déclare que :

  1. Tout le monde s’accorde sur le fait que les châtiments corporels ne constituent pas une méthode éducative adéquate. Ceci fait consensus au sein de la population.
  2. Une loi n’est pas nécessaire pour les interdire, notre arsenal juridique est largement suffisant.
  3. La Belgique n’est pas obligée de suivre cette décision du Comité des droits sociaux.

Décortiquons 

  1. Le consensus sur l’aspect nuisible des châtiments corporels, en ce compris la fessée, existe-t-il ? Certainement pas : un pourcentage élevé de la population(1) considère que la fessée est une méthode éducative adéquate; même au sein des spécialistes de l’enfance, il s’en trouve pour affirmer que ce n’est pas vraiment un problème(2).
  2. Une interdiction légale explicite ne serait pas nécessaire ? Ce n’est en tout cas pas ce qu’a affirmé par deux fois le Comité des droits sociaux, et c’est précisément cette carence qui vaut à la Belgique d’être condamnée. De la même manière, nombre de spécialistes pensent la même chose (voyez notamment «Châtiments corporels : non, ce n’est pas pour son bien !» par Géraldine Mathieu, dans le numéro 346 du JDJ, p. 3, qui rappelle également un article de Jacques Fierens(3))
  3. La Belgique ne serait pas obligée de suivre l’avis du Comité des droits sociaux ? En d’autres termes, elle peut s’assoir sur une décision d’un organe de contrôle des traités en matière de droits fondamentaux ?
    C’est évidemment complètement faux. Il y va d’une confusion, courante, mais assez étonnante dans le chef de nos autorités, entre la force obligatoire et la force exécutoire des décisions du Comité des droits sociaux. Les droits fondamentaux et les traités ne sont pas des éléments que l’on respecte «à la carte», au gré de ses envies. Un État qui ratifie une Convention ne peut pas décider ensuite d’en ignorer certaines dispositions ou de n’accorder qu’une valeur résiduaire aux décisions des organes qui les interprètent et en vérifient le respect. Le fait qu’aucune procédure n’existe pour contraindre un État partie à respecter ses engagements internationaux est une question distincte.
    Il est gravissime qu’une institution publique entretienne une telle confusion, parce qu’elle désapprouve la décision rendue. À ce compte-là, le rôle du Comité des droits de l’enfant, ou du Comité des droits de l’Homme, ou du Comité de prévention de la torture, qui contrôlent d’autres traités relatifs aux droits fondamentaux, sont ramenés au rang d’opinions plus ou moins intéressantes selon le cas, d’experts internationaux qui s’illusionneraient sur l’existence du droit international. Et comme par définition, des condamnations telles que celle qui vient d’être prononcée ne font pas plaisir, il se trouvera toujours quelqu’un pour les dénigrer.
    En l’espèce, ceci est d’autant plus grave que ce mépris du droit international émane d’une instance qui a précisément pour but de prévenir la maltraitance en Communauté française.
    Dès lors que cette position n’est pas signée, qu’elle est sur un site officiel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, elle apparaît comme la position des autorités francophones et non pas comme l’avis personnel d’un fonctionnaire qui ne parle qu’en son nom propre et qui a une nouvelle fois raté l’occasion de se taire. Si ça ne devait pas être le cas, il conviendrait urgemment que le Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles publie un démenti.
  4. En tout état de cause, permettre qu’un fonctionnaire exprime publiquement un tel point de vue démontre un dysfonctionnement de l’administration et en particulier de la campagne YAPAKA qui s’arroge des pouvoirs qu’elle n’a pas.


    (1) Il n’y a, à notre connaissance, pas d’étude ou même de sondages récents sur ce thème en Belgique (comme il y en a dans d’autres pays); mais si on se réfère aux positions exprimées par de nombreux professionnels en charge de la protection de l’enfance lors des échanges réguliers sur cette question, il n’est pas exagéré de dire qu’une majorité de personnes se prononcent en faveur de la fessée comme outil éducatif; ceci bien entendu sans faire référence aux forums des journaux, qui démontrent à tout le moins que les personnes qui s’y expriment, sans doute une minorité, mais très vocale, sont outrées qu’on puisse leur dire comment éduquer leur enfant.
    (2) Cf. notamment Jean-Yves HAYEZ, Des enfants-rois, parce que nous le voulons bien: «La douleur physique (fessée) ne peut s’envisager qu’exceptionnellement (une, deux, trois fois par an) au terme d’une «sainte colère du Père» face à un acte particulièrement grave.» consulté sur : www.jeanyveshayez.net/brut/957-eroi.htm
    (3) «Pas panpan cucul papa! Les châtiments corporels et le droit applicable en Belgique», J.D.J., 2010, pp. 14 à 24.