LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck et Amélie Mouton dans le JDJ N°333

Le jeu de dupes continue

En septembre 2013, Ibrahim (prénom d’emprunt) est arrivé en Belgique, où il s’est déclaré refugié. Affirmant être né au Sénégal en 1997, il a immédiatement été pris en charge par le Service des tutelles. Mais l’Office des étrangers a émis un doute sur son âge et a exigé un test médical pour véri?fier la minorité.

Résultat : un rapport formulé avec une «certitude scientifique raisonnable», lui donnant l’âge de 20 ans et trois mois, avec une marge d’erreur de 2 ans !

Inutile de dire que pour Ibrahim, les conséquences sont lourdes. Au lieu de béné?ficier d’une protection en tant qu’enfant, et donc de perspectives d’étude, de séjour, d’accès à une protection sociale, il est à présent considéré comme un majeur demandeur d’asile, qui a menti sur un élément important de sa situation (son âge), ce qui jettera le discrédit sur l’ensemble de son récit.

Cette affaire portée récemment devant le Conseil d’Etat (qui a rejeté la demande de suspension de la décision, voir page 44 du JDJ N°333) illustre une fois de plus combien l’évaluation de l’âge des mineurs étrangers non accompagnés arrivant en Belgique sans disposer de documents d’identité probants reste injuste et problématique.

On sait en effet que le triple test médical utilisé par le Service des tutelles est peu ?fiable et qu’il faut l’appliquer avec circonspection. La loi prévoit d’ailleurs qu’en cas de doute, la minorité doit prévaloir.

Si ce test est réalisé, c’est à cause d’un doute émis par une autorité, généralement l’Office des étrangers, qui se base sur une appréciation de l’apparence physique de la personne (on imagine le fonctionnaire scrutant le physique du jeune pour se faire une idée de son âge !). Or, on sait aussi à quel point cette apparence peut être trompeuse.

Qu’on pense à certains sportifs qui, à 16 ou 17 ans, ont la taille et la stature d’un athlète. L’in- verse étant vrai aussi, des personnes majeures peuvent donner l’impression qu’elles sont encore mineures.

C’est donc l’appréciation subjective d’un fonctionnaire non-quali?fié qui va déclencher la réalisation d’un examen médical. Lequel peut conclure que l’intéressé a cinq ans de plus que l’âge qu’il a déclaré, comme dans la situation qu’a eu à connaître le Conseil d’Etat. Des documents d’identité (carte d’identité électronique et acte de naissance) avaient pourtant été produits qui donnaient à l’intéressé l’âge de 15 ans. Mais comme ils n’étaient pas légalisés, ils n’avaient pas de caractère probant.

Pourquoi le Service des tutelles n’a-t-il pas demandé au poste diplomatique belge compétent de légaliser les documents produits pour avoir une certitude quant à l’identité et l’âge ? En cas de légalisation, fort probable, on aura une nouvelle preuve de l’absence totale de ?fiabilité du test utilisé.

Plutôt que de se contenter d’une « certitude scienti?fique raisonnable », qui s’apparente à une incertitude que tout scienti?fique devrait avoir l’honnêteté de reconnaître, il faut rejeter une fois pour toutes ce test si peu ?fiable, particulièrement quand des documents sont produits et qu’ils peuvent être légalisés. Faute de quoi on reste dans un jeu de dupes, où chacun sait que ce qu’il fait n’est pas crédible, et où le jeune concerné est la première victime.