LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirbilck dans le JDJ N°322

Si la justice coûte trop cher, essayez l'injustice

Le département de la justice prend l’eau de toutes parts ; les prisons sont des taudis, les experts ne sont pas payés, les palais de justice tombent en ruine et l’indemnisation des avocats qui pratiquent l’aide juridique fond d’année en année.

Tour à tour, c’est la grogne, pour ne pas dire plus, dans les différents corps de métier qui font fonctionner tous les rouages de ce système.

L’effet de la crise, sans doute, mais pas uniquement. Même si la justice est un rouage essentiel de notre société, elle n’a pas toujours bonne presse auprès des dirigeants politiques qui… aimeraient bien la tenir en laisse (surtout quand elle condamne l’État pour divers manquements dont il est trop souvent coutumier).

Le coût de la justice serait donc en partie un prétexte pour instaurer un contrôle et une ingérence inadmissible dans l’indépendance des avocats.

L’instauration d’une liste d’avocats habilités à traiter des dossiers en droit des étrangers et d’une formule d’abonnement, sorte de numerus clausus, vont nécessairement laisser des justiciables sur la touche. Avec un tel système, c’est l’accès à la Justice, pierre angulaire de l’État de droit pourtant élevé au rang constitutionnel, qui est touché.

Il n’en faudra pas plus pour décourager bon nombre d’avocats et sans doute les meilleurs et les plus consciencieux, laissant les plus dociles gérer ce contentieux.

C’est aussi un moyen pour s’assurer que les justiciables, en l’occurrence les plus faibles d’entre eux, «n’abusent pas du système», mythe savamment entretenu pour limiter l’accès à la justice. Les acteurs de terrain peuvent déjà en témoigner, ça devient de plus en plus difficile de trouver un avocat qui accepte d’introduire certains types de recours sans avoir la certitude absolue qu’il aura gain de cause.

Pourtant, des économies sont possibles dans le département de la justice, sans toucher à l’aide juridique, bien au contraire : diminuer le nombre de personne incarcérées, humaniser certaines procédures, singulièrement dans le domaine du droit des étrangers, qui sont presque systématiquement rejetées sans examen approfondi, mais aussi modifier les législations qui sont à la source de nombreux litiges.

Le «détricotage» de l’aide juridique aura lui-même un coût, financier, social et humain, considérable. Comment vont réagir les justiciables qui ne peuvent plus se faire défendre ? À part se faire justice à eux-mêmes, on ne voit pas bien.

Pour autant, il conviendrait de faire une évaluation sérieuse du fonctionnement de l’aide juridique (loi qui aura 15 ans cette année), y compris dans son volet aide de première ligne, sans écarter l’hypothèse de modifier le système en profondeur. La création de bureaux d’avocats traitant exclusivement de l’aide juridique ne diminuera sans doute pas le coût global du système, mais il augmenterait sensiblement la qualité moyenne de l’aide mise en place par les barreaux. Ceci peut se faire sans toucher à la sacro-sainte indépendance des avocats (on voudrait bien voir qu’ils soient réellement tous indépendants !)

Bref, on peut essayer l’injustice. Pas sûr qu’on ne le regrettera pas !