LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Amélie Mouton dans le JDJ N°315

Interdits de rue (bis)

Sur l’air de «chassez cette misère que je ne saurais voir», la ville de Liège a entamé au mois d’avril une opération de nettoyage de ses rues pour le moins interpellante.

Plusieurs quartiers de Liège ont fait l’objet de “tornades blanches” au cours desquelles il était question de “mettre fin aux incivilités jusqu’à ce que mort s’ensuive”. Des tonnes de déchets ont été ramassés, d’innombrables PV ont été dressés, et d’après la comptabilité réalisée par la police pour le journal Le Soir, il y aurait eu près d’une dizaine d’arrestations judiciaires et une cinquantaine d’arrestations administratives.

Certes, les quelque vingt tonnes de crasses évacuées montrent qu’un effort de propreté était nécessaire, même s’il a fallu attendre l’aiguillon de la période préélectorale pour que les pouvoirs locaux se décident à agir.

Mais on peut à juste titre s’interroger sur ceux qui ont payé l’ardoise de ce grand ménage de printemps. La conception de la propreté publique dans la Cité ardente semble en effet ne pas se limiter aux détritus; elle englobe aussi cette armée de misérables, sans abris et/ou toxicomanes, qui hantent les artères liégeoises et qu’on préférerait voir disparaître du champ de vision.

C’est ainsi qu’en plus des services Travaux et Propreté de la ville et de la police locale, le CPAS, le relais social et des éducateurs de rue ont été associés à l’opération pour prendre contact avec «ces personnes en détresse». Dans une alliance aussi inédite que surprenante, des permanences sociales ont été organisées dans les commissariats de police.

À peu près à la même période, toujours à Liège, une dizaine de mendiants étaient mis au cachot pour troubles de l’ordre public, en application d’un règlement communal qui organise la mendicité par jour et par quartier.

Constatant qu’il s’agit en majorité de toxicomanes, le bourgmestre a tout de même concédé que ces arrestations administratives ne servaient à rien.

C’est pourquoi il envisage ni plus ni moins de «colloquer» de force ces renégats, quand bien même la loi sur la mise en observation (la collocation n’existe en effet plus depuis de nombreuses années dans notre arsenal législatif) exclut les assuétudes telles que la toxicomanie et l’alcool. «De même que la précarité sociale», rappelle avec raison Vincent Lorant, professeur à l’Institut de Recherche Santé et Société dans Le Soir (1) .

Car ne s’agit-il pas de cela, au fond, dans cette histoire : d’une prise en charge judiciaire et policière de la misère sociale ? Et que vient faire le CPAS dans cette histoire (2) ? La rue est décidément le terrain de tous les enjeux : après les jeunes coupables d’incivilités, qui pourraient être interdits de rue en guise de sanction (voir notre précédent édito), voici les mendiants boutés hors de la voie publique à coup de règlements communaux.

Et ensuite, à qui le tour ?