LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Betim dans le JDJ N°312

Regroupement familial

Papa s’est suicidé la semaine passée. Il s’appelait Rexhep. Ils diront sans doute qu’il était dépressif, ou quelque chose comme ça. Moi, il m’a appelé Betim. J’ai 15 ans. Papa s’est battu, armes à la main, pour l’indépendance du Kosovo, peu après ma naissance. Il disait qu’à l’époque, il combattait d’abord pour sa famille, et qu’il savait à ce moment pourquoi, contre qui et avec quels moyens. Mais la guerre nous a séparés. Ma mère s’est réfugiée en Belgique avec les enfants.

Papa s’est pendu jeudi passé. C’est mon frère qui l’a trouvé. J’ai trois grands frères et une grande soeur. Nous sommes tous en séjour parfaitement légal en Belgique, depuis plusieurs années. Mon frère aîné est d’ailleurs devenu Belge.

Il y a longtemps que mon père tentait de nous rejoindre. Il disait qu’il avait mal à ses enfants. Mais il voulait vivre avec nous dans le respect des lois. Le visa lui était refusé parce que nous étions trop pauvres et que seuls ceux qui ont suffi samment d’argent peuvent vivre en famille. Ils appellent ça la prise en charge, je crois.

Papa est mort. Pourtant une nouvelle vie s’ouvrait devant lui. Quand mon grand frère a gagné suffisamment d’argent, comme entrepreneur, papa a reçu son visa et il est arrivé en Belgique. J’avais cru qu’il se jetterait dans mes bras, mais ce n’est pas comme cela que ça s’est passé. Il m’a regardé longtemps et ne m’a embrassé qu’après, comme s’il devait d’abord déposer quelque chose après un long voyage.

Papa vivait près de nous. Il a reçu une carte orange. L’avocat disait qu’après six mois au maximum, la commune était obligée de donner une carte pour plus longtemps, mais ils n’ont pas respecté leurs lois. Ils ont fait traîner le dossier en attendant que le nouveau système de regroupement familial s’applique.

Dans la nouvelle loi, il est écrit qu’un enfant majeur, comme mon frère aîné, ne peut pas se faire rejoindre par son père. C’est nouveau, c’est pour qu’il y ait moins d’étrangers en Belgique. Les autres enfants ne pouvaient donner les garanties financières, comme je l’ai expliqué.

Papa est enterré à présent, au Kosovo. Le dernier jour du délai qu’ils lui ont accordé, il a préféré mourir plutôt que de nous perdre de nouveau. Il a obéi à l’ordre de quitter la Belgique, mais dans un cercueil. Il disait qu’ici, il se battait encore pour sa famille, mais qu’il ne savait pas contre qui, ni quelles étaient les armes à utiliser. Cette fois-ci il a perdu la guerre, et nous avec lui.

Moi, je suis encore un enfant. J’ai fui la violence pour venir en Belgique, mais je ne m’en souviens pas parce que j’étais trop petit. C’est un pays où on dit et où on écrit partout qu’il n’y a rien de plus important qu’un enfant et l’amour dans la famille. J’ai la haine.