LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°286

Lettre à un ami cabinettier en partance III *

Cher ami,

Voici qu’ont pris fin tes activités dans le Cabinet ministériel où, il y a cinq ans, tu entrais enthousiaste et la tête pleine de projets, avec le dynamisme de celui qui sait qu’une tâche importante l’attend et qui entend théoriser sa pratique, pérenniser son expérience.

Las, que de déconvenues depuis ! Il est vrai, tu aurais pu te douter que la ministre au service de laquelle tu te mettais, sous des allures de gentille M&M (mère et médecin) n’avait pas le dixième de ta compétence et ton expérience en matière d’éducation des jeunes et de jeunes en difficultés, mais qu’elle y avait été placée pour d’obscurs calculs politiques du parti qui l’y a déléguée, quitte à sacrifier sur l’autel de la Comm les vrais experts que le parti comptait.

Mais peut-être est-ce ce manque d’expérience qui t’a incité à foncer, te permettant ainsi d’être l’éminence grise, le véritable décideur en fait, dés que furent écartés ceux qui t’auraient fait de l’ombre.

C’est peu dire que la fonction t’a transformé, à moins qu’elle n’ait révélé ta véritable nature ? L’homme d’action et de conviction que tu étais s’est peu à peu transformé en bulldozer, oubliant que pour bien décider il faut d’abord savoir bien écouter. Avoir raison contre tout le monde n’est pas nécessairement un gage de réussite d’une politique.

Là où on a commencé à tiquer, c’est quand tu as préparé une réforme des AMO, contre le secteur, mais surtout sans que l’on ne comprenne tes intentions et finalités.

Pour obtenir cette réforme au forceps, il t‘aura fallu faire quelques concessions quand même (il fallait que ça passe, à défaut ta ministre n’aurait eu qu’un maigre bilan à défendre); le résultat est un texte fade, qui entend mettre ces services sous la coupe des «mandants», sans que les «dérives» que tu dénonçais ne soient rencontrées.

Tu n’as pas compris que les critiques formulées à l’égard de ton projet ne l’étaient pas à l’égard de ta personne ou celle de ta ministre. Persuadé qu’il suffisait d’apparaître pour convaincre, tu as cru devoir traiter tes interlocuteurs d’Ayatollahs chargés d’un Djihad contre ta ministre pour disqualifier les critiques que tu vivais comme outrancières.

Ces maladresses de communication auront accentué l’incompréhension et t’auront figé dans une position vécue comme agressive, hautaine voire dédaigneuse pour tout qui ne pensait pas comme toi.

Puis, tu as collaboré à la création de nouvelles prisons pour jeunes. Ta ministre a une excuse, elle ne sait pas ce qu’elle a fait. Toi, tu n’en as pas, qui y arrivais avec l’expérience de la direction d’un service qui avait fait de l’éducation non punitive, un des modèles de projet pédagogique en Communauté française. Tu connais ces jeunes et tu sais qu’ils sont le plus souvent écorchés vifs par notre société et que la réponse carcérale n’apportera que l’illusion de la sécurité immédiate, oubliant l’éducation et prônant la répression à l’état pur, bête et méchante.

Le summum aura été atteint quand tu t’es auto-parachuté directeur de Saint-Hubert, certain que nul autre que toi ne pourra assumer une telle fonction avec poigne et détermination.

Puisses-tu retrouver ton idéal de liberté, te rappeler que les jeunes qu’on va t’envoyer n’en sont pas privés non plus et le mettre à profit dans cette nouvelle fonction pour armer les jeunes du bagage qui leur permettra d’en faire bon usage.


* Toute ressemblance avec d’autres éditoriaux publiés dans ces mêmes colonnes, n’est pas fortuite du tout.