LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°258

Un manque flagrant d'humanité

C'est avec une rare unanimité que la Cour européenne des droits de l'Homme a condamné la Belgique ce 12 octobre 2006 (1) dans l'affaire Tabitha (cette jeune congolaise de cinq ans devenue célèbre après avoir été détenue pendant deux mois au centre 127 et renvoyée au Congo sans accompagnement et sans accueil à son arrivée).

L'arrêt est cinglant. Il siffle comme une gifle à la figure des autorités belges, Ministre de l'intérieur et Office des étrangers en tête, eux qui en 2002 soutenaient que «la procédure normale a été appliquée».

Pour Strasbourg Tabitha a été traitée avec mépris, de manière inhumaine et dégradante, on n'a pas respecté son droit à la vie privée et familiale, on l'a placée dans un état de profond désarroi, elle a été détenue de manière illégale et n'a pas eu droit à un recours effectif.

La Cour considère que la maman de Tabitha a également subi un traitement inhumain et dégradant du fait de l'angoisse causée par la manière dont sa fille a été traitée. Enfin, la Cour rappelle salutairement que l'on ne peut faire grief aux enfants de l'attitude des parents et des fautes éventuelles que ceux-ci auraient commises.

On pouvait difficilement imaginer plus lourde condamnation.

Belle mais amère victoire puisqu'elle le fut au prix de la souffrance d'une enfant. Nous écrivions en 2002 (2) que, pendant que certains travaillent sur des guides de bonnes pratiques, d'autre appliquent les pires d'entre elles.

Ce que la Cour vient de dire, nombreux sont ceux qui en Belgique et ailleurs, l'affirment depuis longtemps (3) . Mais maintenant que le rappel à l'ordre vient de Strasbourg, on comprendrait mal qu'il ne soit suivi d'effet.

En effet, si diverses choses ont changé à cause de (ou grâce à ?) l'affaire Tabitha (loi sur la tutelle des mineurs non accompagnés (dite «loi Tabitha» justement), amélioration du système d'accueil), il reste encore beaucoup à faire pour traiter les mineurs étrangers avec humanité.

Reste que des mineurs étrangers sont toujours détenus dans les mêmes conditions qu'il y a quatre ans. Pour les mineurs non accompagnés on attend toujours la fin de la détention maintes fois annoncée. Pour les autres mineurs, la situation a empiré, vu l'augmentation des «ailes familles» des centres fermés.

Pour ce qui est du refoulement, Tabitha n'a malheureusement pas été la dernière à être renvoyée sans la moindre garantie d'accueil. Récemment encore, huit enfants chinois soupçonnés d'être victime de la traite des êtres humains ont été d'emblée privés de liberté. Suite à plusieurs tentatives ratées, ils ont été expulsés violemment après un mois et demi de détention, la veille de leur passage devant la Chambre du conseil et bien entendu sans garanties d'accueil au retour. Meilleur moyen de les remettre dans les bras des auteurs de la traite !

Le manque flagrant d'humanité n'a pas disparu.


(1) Affaire Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c/Belgique (Requête n° 13178/03); arrêt du 12/10/06.
(2) Benoit Van der Meerschen et Benoit Van Keirsbilck, «Mineurs étrangers non accompagnés, quelles alternatives à la procédure habituelle», in JDJ n° 219, novembre 2002, p. 4.
(3) Benoit Van Keirsbilck, «Shame on you», éditorial du JDJ n° 219, novembre 2002, p. 1.