LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Jean-Luc Rongé dans le JDJ N°246

Tout ce qui est excessif est insignifiant

C'est bien un paradoxe de nos démocraties que de mobiliser treize experts, des greffiers, des secrétaires et des traducteurs pour établir que les fesses des bambins facétieux de nos sociétés occidentales ne sont pas adaptées pour recevoir une correction, alors que dans le même temps, leurs polices jettent au cul de basse fosse des enfants dont la seule indiscipline est d'avoir franchi une frontière sans être porteurs des documents requis.

Voilà donc la Belgique, comme l'Irlande et la Grèce, sujette à remontrance pour n'avoir pas prévu dans son arsenal juridique la sanction des châtiments corporels ni le moyen d'en protéger efficacement les enfants au sein de la famille. Fallait-il vraiment solliciter un collège d'experts au nom du combat contre la torture et les mauvais traitements ?

Quoiqu'on pense du caractère éducatif de la fessée, on peut légitimement s'interroger sur l'opportunité de saisir le comité européen des droits sociaux d'un débat qui relève plutôt de la pédagogie et de l'éducation. Le droit et la sanction de la loi peuvent beaucoup pour mettre en oeuvre les droits fondamentaux dans nos sociétés... quand l'enjeu en vaut la peine, au risque de banaliser les valeurs qu'on défend.

La Belgique ne fait pas figure de mauvais élève dans la lutte contre les violences faites aux enfants.

Les peines corporelles sont proscrites depuis des lustres dans l'enseignement comme dans le secteur de la petite enfance ou encore les établissements d'éducation surveillée ou spécialisée.

Les différents pouvoirs de l'état fédéral ont mis en place des structures de prévention de la maltraitance. La violence institutionnelle est ailleurs et s'exprime autrement: dans les classes d'écoles de relégation, dans les conditions d'enferment des mineurs délinquants, dans l'ignorance ou le mépris affiché des cultures d'origine... et plus généralement dans les rapports sociaux.

Mis à part les commissariats, cela fait longtemps que le martinet est relégué au musée.

À lire la décision et le constat inquiétant de l'Organisation Mondiale contre la Torture (OMCT), on finirait par croire que les coups pleuvent dans les chaumières. Certes, la famille n'est pas à l'abri des abus et la fréquentation des refuges pour femmes et enfants battus en est la preuve. Les travailleurs sociaux ont également à connaître des mauvais traitements infligés à des enfants par des parents, eux-mêmes sujets à la détresse psychologique ou sociale, souvent victimes dans leur jeunesse des mêmes abus.

L'OMCT présente les résultats d'une enquête qu'elle a commandée en avril 2004 montrant notamment que trois adultes sur quatre jugent acceptable que les parents corrigent physiquement leurs enfants. Si les Commissaires aux droits de l'enfant de la Communauté flamande et de la Communauté française confirment le caractère socialement accepté des corrections «à but éducatif» et sont d'avis qu'une disposition du code civil serait opportune pour privilégier l'éducation non violente, ils ne précisent toutefois pas quel est la puissance moyenne en kilojoules de la force généralement employée pour «la correction éducative». Du coup, comme le souligne l'un des experts M. François, dans son opinion dissidente, il «paraît choquant d'associer des catégories de citoyens aussi différentes que les auteurs de sévices sur des enfants et des parents veillant à corriger leurs enfants avec mesure».

Et comme le rappelle le gouvernement dans son mémoire, la répression pénale veille aux excès d'autant que les coups et blessures sont plus sévèrement punis lorsqu'ils sont administrés au sein de la famille. La jurisprudence a d'ailleurs considéré que le délit était consommé dès lors que l'atteinte apporte au corps humain une lésion, si légère soit-elle.

Franchement, la sollicitude est excessive; elle rappelle les années soixante-dix lorsque Brigitte Bardot tentait d'émouvoir la planète sur le sort peu enviable des bébés phoques pendant que l'aviation américaine répandait le napalm sur les villages vietnamiens. Elle laisse un goût amer au regard du mépris affiché des institutions du Conseil de l'Europe sur le sort des populations de Tchétchénie. Aujourd'hui, alors que l'horreur subie par les enfants est encore plus visible, la mobilisation d'énergie pour traiter du «pan-pan-cul-cul» est proprement choquante.