LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Florence Bourton et Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°392

Dessine-moi un avenir

Vivre confiné, parfois loin de sa famille, de ses proches ; parfois trop proche de ceux qu’on aime quand le nid, à défaut d’être douillet, est bien trop petit.

Réinventer son quotidien, ou simplement y survivre. Faire partie des «oubliés», une fois de plus, lorsqu’on est à la rue, lorsqu’on vit sous les coups d’un conjoint ou d’un parent violent, lorsqu’on prend soin d’un proche malade, qu’on est porteur de handicap, qu’on n’a pas de papiers, plus de boulot, plus d’argent, lorsqu’on vit dans une institution ou en prison, dans un stress qui augmente,… voilà une liste qui ne s’amenuise jamais.

Et puis tenir bon, jusqu’à demain.

Car qu’il soit synonyme d’espoirs ou d’angoisses, demain arrivera, même s’il semble loin. À quoi ressemblera-t-il ? On nous parle d’une récession qui durera des années, de tests à grande échelle, de traçage,… Ira-t-on jusqu’à devoir porter un signe distinctif lorsqu’on est testé positif au virus ? Pourra-t-on voir sur une carte interactive lequel de nos voisins est infecté ? À voir la violence des attaques et discriminations que doivent déjà subir les soignants, il y a de quoi s’inquiéter.

Cette crise mondiale nous montre la rapidité et la facilité avec lesquelles les libertés et droits fondamentaux peuvent voler en éclats. Le socle de la démocratie ne serait-il qu’un château de cartes ? À quoi ressemblent nos idéaux, notre humanisme, en temps de pandémie ? Cette société que nous avons construite, est-elle à notre image, nous convient-elle ? Ou bien…

Ou bien le moment est-il venu de corriger les bugs dans la matrice, voire de la reprogrammer. Ces réflexions sur «l’après» ne peuvent être l’apanage d’un groupe d’experts du «déconfinement». L’organisation de toute la société est bouleversée et doit être repensée de façon collective, en y associant les oubliés, les exclus, les jeunes, les femmes, les vieux, les migrants. Quelles priorités voulons-nous nous donner pour que la distanciation qui demeurera au lendemain du confinement ne soit que physique et pas sociale ni humaine.

Plus que jamais nous réalisons l’importance du «care», du «prendre soin» dans notre monde. L’éthique du care, apparue il y a quarante ans, part de l’idée qu’une société doit prendre soin des personnes qui ne peuvent prendre soin d’elles-mêmes, assurer aux personnes autonomes que l’on prendrait soin d’elles si elles devenaient dépendantes, et soutenir financièrement celles et ceux qui prennent soin des autres (1).

Ce travail du care est aujourd’hui sous-financé, dévalorisé.

Organiser la société autour du «prendre soin» plutôt qu’autour de la production ; ne plus voir d’un oeil négatif les mots vulnérabilité, interdépendances ; soutenir des valeurs telles que le respect mutuel, le bien-être, le partage… est-ce un pari fou ? Qu’on se laisse séduire par cette idée ou pas, il est indispensable de repenser collectivement notre fonctionnement, en associant les jeunes générations.

Pour, après avoir géré l’urgence, réinventer un avenir, en essayant d’éviter de retomber dans cette course capitaliste folle et ces politiques d’austérité qui n’adressent la facture qu’aux plus exclus. «Pour redessiner ensemble les contours d’une société plus juste, solidaire et durable» (2).

Florence Bourton et Benoit Van Keirsbilck


(1) Voy. par exemple : E. Nakano Glenn (traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Séverine Sofio), «Pour une société du care», in Cahiers du Genre, 2016/3 (HS n° 4), pp. 199-224, disponible sur www.cairn.info
(2) Voyez la Carte blanche d’un collectif de citoyens : «Gérer l’urgence… puis réinventer l’avenir» sur http://www.econospheres.be/Gerer-l-urgence-puis-reinventer-l-avenir

En souvenir de Jean-Pierre Bartholomé

Jean-Pierre Bartholomé n’était pas juriste. Mais il avait une faculté de lire le droit de la jeunesse que les juristes, à l’époque, n’avaient pas.

Nous, avocats, nous allions, la tête basse, dans le cabinet du juge, avec, pour toute défense, que notre client ne l’avait pas fait exprès, qu’il ne le ferait plus, qu’il faisait pleurer sa maman, et qu’il fallait le lui rendre au plus vite, son fiston.

On espérait ainsi éviter les mesures répressives qui se cachaient derrière un vocabulaire bienveillant, qui confondait souvent le mineur en danger et le mineur dangereux.

Jean-Pierre nous interpella, nous demanda si nous n’avions pas, dans notre arsenal juridique, des moyens de recevabilité, de légalité, de constitutionnalité, de conventionnalité qui permettraient d’en finir avec une justice paternaliste qui n’était qu’un prolongement de la mise au coin, du bonnet d’âne et de la fessée.

Il créa, à la FGTB, un service «Droit des Jeunes». Il nous incita à créer notre propre service, au Jeune Barreau de Liège, avec notre permanence, notre engagement d’être présent tous les jours au tribunal.

C’était le début d’une approche nouvelle. On s’était aperçu que le jeune peut aller en appel, en cassation, à Strasbourg.

C’est à Jean-Pierre que nous devons cette mutation, car il nous avait appris que le jeune est lui aussi un sujet de droit et que c’est en le traitant comme tel qu’on lui rendra justice.

Paul Martens