LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoit Van Keirsbilck dans le JDJ N°371

La majorité pénale désormais à 16 ans, pour certains jeunes

Le «Décret portant le code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse» a donc été adopté ce 17 janvier dernier et rentrera en vigueur le 1er janvier prochain. Nous aurons largement l’occasion de nous attarder, dans les mois qui viennent, sur son contenu, l’heure n’étant plus aux débats mais à la compréhension et à la diffusion de ce texte.

À ce stade, attardons-nous sur un élément particulièrement emblématique de ce texte : le maintien du dessaisissement (ce mécanisme qui permet au juge de la jeunesse de se dessaisir d’un dossier et de le renvoyer au ministère public qui peut alors, suivant les cas, saisir soit la chambre spéciale à trois juges soit la cour d’assises qui appliquent le droit pénal commun (1)).

Le maintien de ce mécanisme d’exception est largement défendu par les juges de la jeunesse qui, sans s’en cacher, l’utilisent principalement comme menace, «attention, le dessaisissement te pend au nez», dont le caractère pédagogique nous échappe. Même si tout le monde affirme, la bouche en cœur, qu’il n’est utilisé que quand tout a été essayé, mais vraiment tout, et qu’il ne constitue qu’une «soupape de sécurité», la réalité est différente et les abus ont toujours existé. De plus, comme le rappelle le Professeur Jacques Fierens lors de son audition au Parlement de la Communauté française, «il est plus souvent appliqué aux jeunes ayant un profil de vulnérabilité particulière» (2).

Ironiquement, son maintien est largement motivé par la peur que son abrogation entraîne un abaissement de l’âge de la majorité pénale. Certes, il y a eu une volonté affirmée de restreindre son champ d’application en prévoyant principalement que les conditions (avoir fait l’objet d’une décision définitive de placement en section fermée d’une IPPJ et avoir commis en état de récidive un fait d’une gravité certaine) soient cumulatives. Il n’empêche que le texte proposé par le Gouvernement, et encore plus la modification intervenue lors des débats en commission (3), rendent ce caractère exceptionnel caduc.

En effet, dans trois hypothèses, le dessaisissement peut être ordonné sans qu’il soit nécessaire que ces conditions soient remplies : 1° lorsque le jeune est poursuivi pour un fait punissable d’une peine de réclusion de dix à quinze ans ou plus; 2° s’il ne collabore pas aux mesures provisoires ou s’y soustrait; 3° si l’âge du jeune au moment du jugement rend inopérant le recours à une mesure de protection (4).

Ces exceptions ouvrent la porte à toutes les dérives, notamment par le flou de la notion de «collaboration aux mesures provisoires» et celui de «l’âge qui rend inopérant le recours à une mesure» à mettre en lien avec le fait que la durée des mesures ne peut jamais dépasser l’âge de 20 ans (5).

En réalité, plutôt que d’avoir rendu plus sévères les conditions de dessaisissement, la réforme les a assouplies au point de rendre de facto possible un abaissement de l’âge de la majorité pénale à 16 ans.

On a voulu le maintien du dessaisissement pour éviter l’abaissement de la majorité pénale et on a finalement l’un ET l’autre.

Pendant 35 ans on a prétendu qu’il était impossible de se passer de l’article 53 (envoyer un jeune en taule pour 15 jours) sous peine de complètement détruire le sacro-saint modèle protectionnel.

On a vu par la suite que le système a résisté (tant bien que mal) et qu’on peut très bien s’en passer, personne ne plaidant pour un retour en arrière en la matière. Il faudra donc encore quelques années, une bonne dose de courage politique, de la pédagogie aussi, pour enfin se débarrasser de cette scorie dans notre droit de la protection de la jeunesse et se conformer aux engagements internationaux de la Belgique. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, qui va se pencher en juin prochain sur le respect par la Belgique de ses engagements et qui adoptera ses prochaines recommandations en janvier 2019, ne manquera pas de nous rappeler à l’ordre. Pour la 4ème fois ! Le Gouvernement ne pourra pas dire qu’il n’a pas été dûment prévenu (6).

Comme le souligne le Professeur Thierry Moreau (7), il y a déjà bien des années, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que des coups de martinets sur les fesses d’un jeune à titre de sanction constituaient un traitement inhumain et dégradant incompatible avec l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et les châtiments corporels ont disparu de l’arsenal des mesures applicables aux enfants en Europe. Traiter un enfant comme un adulte et le condamner à de la prison ferme est-il moins grave et plus tolérable que quelques coups de martinet ?

Benoit Van Keirsbilck


(1) Cette question relève toujours de la compétence du fédéral.
(2) JDJ n° 370, décembre 2017, p. 11.
(3) Glissée, comme une peau de banane sous les pieds du PS, par le partenaire CDH du Gouvernement.
(4) Voyez l’art. 125 du décret.
(5) Notons que du côté flamand, le projet de décret en cours d’élaboration, prévoit que les mesures peuvent aller jusqu’à 25 ans.
(6) Pour rappel, l’Organe d’avis de la Commission nationale des droits de l’enfant a rendu un avis cinglant sur cette question il y a quelques mois à peine. Voir : https://ncrk-cnde.be/fr/avis/article/quel-futur-pour-le-dessaisissement
(7) JDJ n° 370, décembre 2017, p. 15