LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°302

Quand le bonheur est en solde

L’enfer est généralement pavé de bonnes intentions. Partant de ce constat, maintes fois vérifié, Yapaka, la campagne de prévention de la maltraitance et de soutien à la parentalité de la Communauté française, a lancé une campagne remarquable pour dénoncer des dérives de la lutte contre la maltraitance :«parents-bonheur».

Au nom de cet objectif, non seulement louable, mais bien sûr indispensable, on voit fleurir des initiatives souvent malheureuses, parfois franchement malhonnêtes.

Il en va notamment ainsi de la privatisation de la prévention (le placement, par des firmes privées qui y ont vu un marché juteux, de webcams dans les crèches et toutes les formes de technoprévention qui ne donnent que l’illusion de la sécurité), du recours accru à la médicamentation (des parents ou enseignants qui se laissent séduire par des campagnes de publicité des requins des firmes pharmaceutiques), des mouvements de «citoyens-blancs» qui se substituent aux pouvoirs publics pour faire la chasse aux pédophiles (il s’agit, ni plus ni moins de milices privées),…

Ces approches ont comme point commun de remplacer le lien social par de la technologie et l’intervention des pouvoirs publics, seuls détenteurs de la légitimité de l’intervention, par celle de structures privées ou «pseudocitoyennes ».

«Plutôt que d’apprendre aux enfants à se protéger des risques, plutôt que d’en parler avec eux, il est proposé aux parents de faire l’économie de cet investissement relationnel en indiquant que la technique sera plus efficace ou plus adaptée. Hélas, quand la technique remplace la relation, il y a appauvrissement de la fonction parentale».

La campagne de Yapaka, comme d’ailleurs l’ensemble de leur action, est originale et percutante. Elle se fonde sur une association inventée de toutes pièces qui promet le bonheur absolu. La campagne renvoie au site de Yapaka (1) sur lequel figurent diverses petites vidéos proposant une formule de protection totale des enfants. La caricature fait mouche et permet à tout qui souhaite se laisser interpeller de réfléchir aux solutions miracles que la société contemporaine propose :

«L’ensemble de ces démarches relèvent d’un imaginaire d’une société où tout risque pourrait être évité. Croire qu’un dispositif, une organisation sociale peut éviter tout risque n’apprend plus à s’en prémunir. Suivre son enfant grâce à une puce électronique ne lui apprend ni la liberté, ni la prudence. Etrangement, l’idéologie du risque zéro augmente le risque».

Cette société du risque zéro a une nouvelle fois été évoquée suite aux drames d’enfants maltraités qui ont été médiatisés récemment (2). À croire qu’on préfère une société de contrôle total, présente en permanence partout, qui place la vie privée au dernier plan et qui décide en tout temps comment il convient d’élever un enfant. Ça s’appelle une société totalitaire.


(1) http://www.yapaka.be/tous/page/parents-bonheur-la-protection-totale-de-vos-enfants
(2) Il faudrait un jour analyser comment certains faits divers font la une des médias alors que d’autres restent dans l’ombre. Sur la question de la médiatisation de la maltraitance, nous renvoyons à l’analyse qu’en font Jean Blairon, Jacqueline Fastrès, Isabelle Dubois et Caroline Garzoñ dans Intermag de mars 2011 : http://www.intermag.be/images/stories/pdf/saj_et_mal_agi.pdf