LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de B. Van Keirsbilck et M. Lambert * dans le JDJ N°262

Au secours, ils sont devenus fous !

Depuis peu, les crimes ou délits commis à l'encontre de certaines personnes font l'objet d'une répression accrue : doublement du minimum de la peine d'emprisonnement, augmentation de deux ans de la réclusion (1).
Les agressions contre les personnes visées par cette loi sont considérées comme «portant atteinte de manière particulièrement grave à l'intérêt général».
Sont limitativement visés par la loi : «un conducteur, un accompagnateur, un contrôleur ou un guichetier d'un exploitant d'un réseau de transport public, un facteur, un pompier, un membre de la protection civile, un ambulancier, un médecin, un pharmacien, un kinésithérapeute, un infirmier, un membre du personnel affecté à l'accueil dans les services d'urgence des institutions de soins, un assistant social, ou un psychologue d'un service public, dans l'exercice de leurs fonctions»; sont donc exclus de la liste bon nombre d'autres professions dont on pourrait considérer qu'elles exercent également une fonction d'intérêt général (pensons aux guichetiers de la poste, aux agents des mutuelles, aux chauffeurs de taxi, aux gardiens de parc, aux aides ménagères, aux éducateurs de rue, aux agents pénitentiaires,… voire aux policiers).

Certaines des incriminations vont à sens unique : un élève (ou un membre de la famille d'un élève) qui agresse un professeur est sanctionné plus durement (s'il est mineur, c'est encore toujours la loi du 8 avril 1965 relative à la protection de la jeunesse et machin bazar qui s'applique); par contre, un professeur qui agresse un élève ne sera pas sanctionné plus durement !
Certaines professions ne sont protégées que dans des cadres bien précis : les assistants sociaux des services publics. Pas ceux des services privés. Le personnel affecté à l'accueil des services d'urgence. Pas celui qui est affecté à l'accueil d'un CPAS.

Le mandataire public qui détourne des sommes astronomiques à son propre profit ne devrait-il pas faire l'objet d'une sanction exemplaire dans la mesure où il devrait montrer l'exemple et qu'on est en droit d'attendre de lui une conduite irréprochable ? Y aurait-il une gradation dans la notion d'intérêt général ?
L'exposé des motifs de la loi énonce : «compte tenu de l'augmentation des violences physiques à l'encontre de personnes qui dans l'exercice de leur fonction sont obligées d'entrer en contact avec le public en vue de remplir d'importantes et indispensables missions d'intérêt collectif, le projet de loi a pour objectif de donner à la société les moyens d'y apporter une réponse appropriée en envoyant un signal fort aux auteurs de ces violences».
Réponse appropriée ? Pas sûr ! Quand un usager d'un CPAS passe à l'acte à l'encontre d'un assistant social de ce centre, on se pose rarement la question de ce qui a justifié cette violence. Or, on sait que beaucoup de services publics (et pas seulement la police) génèrent une violence extraordinaire à l'encontre du public. Les conditions d'accueil, l'attitude de certains professionnels, la suffisance hautaine, le mépris, l'absence de réponse à des demandes parfois urgentes dans des délais raisonnables,etc., tout cela est violence.

La réaction verbale et/ou physique des usagers est d'abord et avant tout la conséquence du délitement de la qualité des services publics et de l'incapacité de certains professionnels de recevoir humainement une personne en détresse au lieu de la traiter comme un déchet de la société à qui on va jeter les miettes de la croissance à la figure.
Qu'on nous comprenne bien, la personne qui agresse un conducteur de bus doit être punie, il n'y a pas la moindre équivoque là-dessus. Mais pas plus ni moins que celle qui agresse une vieille dame pour lui voler son sac. À moins qu'on attende un fait divers horrible de cet ordre pour ajouter les trois fois vingt à la liste des «victimes surprotégées» ?

Une autre raison invoquée pour justifier ce durcissement de la loi pénale est la dissuasion. Or les choses ne sont pas aussi simples. L'efficacité de l'intimidation collective est mise en doute par beaucoup de spécialistes (2).
Fi de la législation du fait divers et de l'émotion ! Décidément, la répression est l'arme des faibles et des incapables.

* Conseiller juridique de la Ligue des droits de l'Homme.

(1) Loi du 20 décembre 2006 «modifiant le Code pénal en vue de réprimer plus sévèrement la violence contre certaines catégories de personnes».
(2) A. Normandeau, B. Schwartz, «Evaluation de l'effet intimidant de la peine. Le cas du viol de Philadelphie»., Rev Dr. Pen. Crim.,1967-1968, p. 457 et s.; Desmarez et Lambert, «Repression des infractions de roulage; essai d'appréciation de l'efficacité des peines chez 103 délinquants condamnés à un emprisonnement sans sursis», Rev Dr. Pen. Crim.,1967-1968, p. 528 Cité par B. Bouloc, «Précis de pénologie. Exécution des sanctions adultes et mineurs»,2ème éd., Dalloz , 1998, p .6.