LE JOURNAL DU DROIT DES JEUNES

L'éditorial de Benoît Van Keirsbilck dans le JDJ N°253

Pragmatisme et efficacité

L'arrêt de la Cour d'arbitrage du 18 janvier 2006 commenté dans ces pages par Caroline Vandresse (1) fait suite à un recours introduit par la Ligue des droits de l'Homme (2) et Défense des Enfants – International Belgique (3) contre les lois du 7 mai et du 17 juin 2004 dont l'objectif était de «se doter de moyens adéquats dans la lutte contre les incivilités». On se rappellera que le législateur a décidé de dépénaliser une série d'infractions de plus ou moins faible importance, les incivilités (tags, menaces, injures, coups et blessures, etc.) et de mettre en place un mécanisme permettant aux communes d'intervenir et de sanctionner tout comportement nuisible en infligeant des sanctions administratives (4).

Les requérants considéraient que ce nouveau dispositif, outre des irrégularités flagrantes, induisait plusieurs conséquences néfastes pour le droit de la jeunesse. Le résultat, même s'il s'agit d'une annulation partielle, est loin d'être totalement satisfaisant.

Certes, l'introduction du recours aura permis de susciter un débat (5) qui a débouché sur l'adoption d'une loi réparatrice, quelques mois à peine après sa mise en vigueur; celle-ci prévoit d'appeler les parents à la cause notamment pour le payement des amendes que les mineurs ne savent pas payer et de repénaliser certaines des infractions «dépénalisées» (faire et défaire…).

La Cour d'arbitrage a, quant à elle, annulé l'absence de voie de recours ouverte au mineur qui se voit infliger une amende administrative et qui la conteste devant le tribunal de la jeunesse, alors même que celui-ci est en mesure de prononcer jusqu'à une mesure de garde !

L'arrêt est cependant insatisfaisant en ce qu'il ne remet pas en cause le principe même des sanctions pénales appliquées à des mineurs qui gomme la différence entre le traitement des faits délictueux commis par les mineurs et par les adultes.

Autre point noir : le système repose sur un fonctionnaire communal habilité à constater la culpabilité de l'auteur des faits et à prononcer une peine. C'est-à-dire une personne qui n'est ni indépendante (nommée par la commune et insérée dans un lien hiérarchique avec elle) ni impartiale (elle est juge et partie, la commune étant à la fois la victime et le juge).

La Cour d'arbitrage a donc donné son aval à ce type de pratique car elle a estimé qu'«il était souhaitable que de telles mesures puissent, dans un but éducatif, être prises rapidement…».

La philosophie qui transparaît derrière ce type de discours est extrêmement inquiétante. Il s'agit en effet d'une nouvelle manifestation du virage sécuritaire du traitement de la délinquance juvénile dans un souci de pragmatisme et d'efficacité.

Lequel s'accommode mal avec la nécessité d'éduquer des personnes que la société se doit de considérer comme étant encore en voie d'émancipation et de responsabilisation.


(1) Voir page 21 dans ce numéro.
(2) La Ligue des droits de l'Homme, Chaussée d'Alsemberg, 303, 1190 Bruxelles ; Tél : (32) 2.209.62.80 ; Fax : (32) 2.209.63.80 ; E-mail : ldh@liguedh.be; http://www.liguedh.be/
(3) DEI Belgique francophone ; Rue du Marché aux Poulets 30 ; 1000 Bruxelles ; Tel : 02/209.61.62 ; Fax : 02/209.61.60 ; E-mail : bvk@sdj.be; http://www.dei-belgique.be; Nouvelle tribune des droits de l'enfant : tribune@dei-belgique.be
(4) Le dispositif ainsi créé rend la matière particulièrement complexe ; elle est donc explicitée dans une «Fiche JDJ» par Amaury de Terwangne dans ce numéro
(5) Pensons notamment à la journée d'étude organisée par le Service droit des jeunes de Bruxelles le 27 avril 2005 et dont les actes ont été publiés dans le JDJ n° 246, juin 2005 et aux différents articles que le JDJ a déjà consacrés à la question.